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L’unification des chemins de fer allemands : un rouage au sein d’un processus politique ambitieux
L’unification des compagnies de chemins de fer « royaux » allemands n’est au final qu’une étape d’un long processus qui trouve ses origines dans les guerres Napoléoniennes.
La Nation Allemande, réalité économique et culturelle du monde occidental n’avait jamais pu, au contraire de la France, se constituer en Etat. Sa réalité nationale s’exprimait par l’usage d’une langue commune, l’allemand, et sa soumission morale et spirituelle au « Saint Empereur Romain Germanique », dignité fondée par Charlemagne en l’an 800 et qui s’est perpétuée au travers de la personne de l’Empereur d’Autriche-Hongrie. C’est ce que l'on appelait le « Reich »
Lorsque Napoléon Ier vainquit l’Autriche à Austerlitz et installa ses frères sur des trônes allemands, il mit fin à la dignité de Saint Empereur et à son autorité morale et spirituelle.
Dans la seconde moitié du XIXè siècle, un homme, Otto von Bismarck, va ériger en but de vie la réalisation de ce qu’aucun empereur germanique n’avait réussi à faire : unifier la Nation Allemande en un seul état. Bien entendu, dans son esprit, la restauration du titre de saint empereur se fera au bénéfice de son maître, le Roi de Prusse Guillaume Ier.
Un écueil subsiste : l’Autriche ne l’entend pas de cette oreille. Mais elle est battue par la Prusse à Sadowa en 1866. La voie est libre pour Bismarck.
La tâche n’est pas si simple : les états allemands sont très jaloux de leur autonomie. La Bavière, notamment, n’entend pas faire allégeance à la Prusse. Il faut donc un prétexte fédérateur. Ce prétexte sera gracieusement fourni par Napoléon III - qui tombe dans le piège que lui tend Bismarck, persuadé qu’il n’aura à affronter que la Prusse. Le sentiment national l’emporte en Allemagne et tous les états se joignent au combat. L’empire est proclamé à Versailles ; le IIè Reich est né.
La tâche centralisatrice se met alors lentement en place et, dans ce contexte, il n’y a aucune raison que les chemins de fer y échappent. Ainsi, dès 1879 Bismarck fait-il voter le projet de rachat par le Reich de l’ensemble des compagnies « royales ». Mais celles-ci font de la résistance et ont des intérêts privés qui s’opposent à ceux du nouvel Etat.
Bismarck et ses successeurs ont besoin de ménager la susceptibilité des anciens états. Ceux-ci ont conservé de fortes cultures locales et la perspective d’une nouvelle guerre en Europe, que toutes les nations Européennes redoutent mais attendent comme inévitable, oblige à ces ménagements. Les choses iront donc à petits pas :
9 décembre 1896 : fondation de la DESG (Deutsche Eisenbahn-Speisewagen-Gesellschaft) Société des Wagons Restaurants des Chemins de Fer Allemands, au sein de laquelle la CIWL (Compagnie Internationale des Wagons Lits, appelée ISG – Internationale Schlafwagen Gesellschft - en Allemagne) prend rapidement une majorité de parts.
En 1909, fondation de la DWV (Deutsche Staatsbahn-Wagen-Verbandes) – Régie des wagons des chemins de fer allemands
Dès 1911, mise en conformité de l’ensemble des wagons de marchandise de l’ensemble des compagnies royales avec les directives de la DWV. La fameuse livrée verte des wagons de marchandises bavarois de l’époque I disparaît (bien avant la guerre, donc) au profit du brun prussien.
Mais c’est bien la guerre 14-18 qui va précipiter les choses. En effet, les militaires ont à gérer du matériel de 9 compagnies différentes, à transiger avec des dizaines de sous-directions qui ont chacune leurs manies et habitudes. Ils convainquent donc les autorités politiques de précipiter le mouvement.
1er mai 1915 : résiliation de tous les contrats liant l’Allemagne à la CIWL
24 novembre 1915 : fondation de la Mitropa
15 janvier 1916 : circulation du premier « Balkanzug » en remplacement de l’Orient-Express entre Berlin et Constantinople.
Enfin,
début 1917, création d’une Direction Générale Unique des chemins de fer allemands, finalement avalisée par l’ensemble des protagonistes fin juin 1918. Il faut dire qu’entre temps, les compagnies « royales » ont bien perdu de leur superbe. Leur déficit cumulé atteint 2 milliards de marks (environ 2,4 milliards de francs de l’époque, pas loin de 10 milliards d’euros). Les miettes sont bonnes à ramasser.
Malgré la révolution spartakiste, malgré tous les troubles qui suivent la chute de l’empire et l’établissement de la République dite « de Weimar », les travaux préalables d’unification de la numérotation du matériel ferroviaire en vue de son intégration dans une compagnie unique vont bon train. Un peu plus de 1600 locomotives sont intégrées dès 1919.
Le 23 février 1920 voit l’intégration des chemins de fers bavarois. La K.Bay.Sts.B disparaît pour devenir la Bay.Sts.B. Les « Bayerische Staatseisenbahn » survivent quelques temps, mais ils ne sont plus royaux. La Bavière conservera ainsi une certaine autonomie jusqu’en 1927, avec une numérotation et des livrées propre. Dès 1924, seul le mot « Bayern » est encore écrit sur les locomotives.
Le premier avril 1920 paraît le décret de constitution des chemins de fer du Reich par la fusion en une seule compagnie des anciennes sociétés prussienne, bavaroise, saxonne, württembergeoise, badoise, mecklembourgeoise et oldenbourgeoise. Un tarif unique pour le transport des marchandises à travers toute l’Allemagne est immédiatement promulgué.
Le 2 décembre 1920 circule un premier train de luxe entre Hoek van Holland et Berlin, préfigurateur du fameux Rheingold. Près de 2000 locomotives supplémentaires sont intégrées un système.
1921 voit la fondation de la RIV (en Allemand : Internationalen Güterwagen-Verbandes)
et de la RIC (en Allemand : Internationale Personen und Gepäckwagen-Verbandes). Près de 2400 locomotives supplémentaires sont intégrées.
En 1922, l’Allemagne adhère à l'UIC, (Union Internatinale des Chemins de Fer) fondée à Paris le 1er décembre. Le réseau allemand dépasse les 51000 km. Il en fera 65000 en 1925, soit le double du réseau français, lui même deuxième mondial. Plus de 1300 locomotives sont encore intégrées. Il y en aura encore 1500 en 1923, 676 en 1924 et un peu plus de 100 en 1925. Ce sont donc au total plus de 8200 locomotives qui auront été reclassifiées, renumérotées et réaffectées en seulement 6 ans.
Enfin, le 30 août 1924 est publié le document intitulé
"Gesetz über die Deutsche Reichsbahn-Gesellschaft" (Reichsbahngesetz) qui officialise la
fondation de la DRG, en ces termes :
Loi concernant la Société des Chemins de Fer du Reich
1) Le Reich Allemand procède par cette loi à la formation d’une compagnie pour l’administration des chemins de fer portant le nom de "Deutsche Reichsbahn-Gesellschaft"
2) Les statuts afférents à l’établissement de cette société sont une composante de cette loi.
3) La société doit diriger son action en vertu de la préservation des intérêts de l'économie nationale allemande en respectant les usages commerciaux.
Autrement dit, la DRG devra respecter un certain nombre de règles d’état, mais elle n’est pas une compagnie nationalisée. Elle ne le sera qu’en 1937 pour devenir simplement la « Deutsche Reichsbahn » ou DRB ; désignation qui sera conservée par l’Allemagne de l’Est jusqu’à la réunification allemande de 1992.
Le règne des roues rouges peut commencer.