Bonjour, pour la suite, l'évolution du réseau sera racontée au travers au travers de l'histoire d'Edgar Dechef, qui le gère pour moi.
Episode 1 : ballast but not least« Allô, Belle ? On démarre les tests de ballastage, aujourd’hui. » Edgar Dechef appelle sa collègue, Belle Infra.
- Bonjour, Edgar, oui oui, je sais, je sais.
- Rendez-vous sur le module suédois ?
- Non, ces tests-là, on les fait au centre de la voie à Coubas.
- OK, à tout de suite ».
Lorsque Edgar arrive à Coubas, il aperçoit Belle qui, dans son gilet jaune fluo, a déjà démarré les opérations et c’est bien normal puisque la voie c’est son domaine. Elle donne des ordres à gauche et à droite, circule d’un côté à l’autre du terrain d’essais. Derrière Belle, Edgar aperçoit plusieurs cylindres géants qui dominent largement le terrain. « Les pots de colle, sans doute » se dit Edgar. Devant, trois segments de voie destinés aux tests.
Sa collègue le rejoint. « Attention, Edgar, tu es dans le chemin ». Edgar suit le regard de Belle, tourne subitement la tête et aperçoit en effet une grue qui se dirige droit vers lui. Il se déplace rapidement aux côtés de Belle. « Est-ce qu’on a une longue journée de travail devant nous ?
- Non, on teste trois colles avec trois ballasts différents, cela devrait aller assez vite.
- Tant mieux, j’ai encore pas mal de travail à faire. »
Edgar sait que la compagnie a rassemblé quelques références de ballast et de colle. Le Grand Régulateur veut effectuer des tests sur le module suédois pour choisir les matériaux et les techniques avant d’attaquer le ballastage des modules principaux. De toutes façons, ces derniers ne sont pas encore construits. La commande est finalement partie mais la compagnie a largement le temps d’effectuer des tests de ballast avant que l’opération de ballastage principale ait lieu. Il y aurait la pose de la plate-forme et tout le câblage électrique à réaliser avant, sans compter la pose de la voie et des tests de circulation bien évidemment. Bref, on a certainement plusieurs mois avant que tout cela ne débouche sur du sérieux. Le Grand Régulateur a retenu quelques références classiques chez Woodland Scenics, Heki et Minitec avant de découvrir la gamme
Koemo et il s’est empressé de commander des échantillons. Rapidement, il a trouvé une autre compagnie allemande qui lui a livré un autre très beau ballast minéral. Répondant au doux nom de
Gleisschotterschmiede, elle livre son ballast au kilo à un prix étonnant malgré la conjoncture inflationniste et plusieurs références ont donc été commandées.
« J’imagine que tu as fait ton choix parmi les ballasts, Belle ?
- Oui. On va prendre le Woodland Scenics Fine Gray (B75). Au contraire des autres références retenues, c’est un ballast gris qui conviendra bien si l’on veut réaliser des tests de voilage couleur rouille à l’aérographe par après. Et puis c’est un ballast d’origine non minérale, donc il va peut-être réagir différemment aux colles. » Edgar sait bien entendu que ce ballast est fait à partir de coquilles broyées, mais il ne sait plus s’il s’agit de noisettes ou de noix.
Belle poursuit : « La seconde référence est un Koemo très patiné par la rouille (R20). Je trouve sa granulométrie HO un peu grosse (0,4 à 0,8mm) alors qu’Infrabel
indique que le ballast ne devrait pas dépasser 50mm à l’échelle réelle, soit 0,57mm en HO. Je crois que le Grand Régulateur n’avait pas pensé à chercher dans le catalogue à l’échelle TT. Mais il l’a fait pour ce qu’il a acheté ensuite et c’est pour cela que la dernière référence qu’on teste aujourd’hui est du Gleisschotterschmiede en TT, avec une granulométrie allant de 0,2 à 0,6mm.
- On reste sur un ton rouille avec celui-là ?
- Absolument, c’est la référence Granit Erdbraun.
- Et pour les colles ? »
Belle ne lui répond pas car elle voit des ouvriers ouvrir un des cyclindres de colle. Elle leur crie « Eh, arrêtez ça tout de suite, je n’ai pas donné mon feu vert pour démarrer les opérations ! » Les ouvriers s’interrompent immédiatement. Chacun sait qu’il vaut mieux ne pas désobéir aux ordres de Belle. Dans ce milieu très masculin et parfois réputé sexiste, Belle ne s’est jamais laissé marcher sur les pieds et ceux qui ont essayé l’ont amèrement regretté. Belle a un registre de jurons particulièrement large et fleuri, qui en général dépeint bien ses victimes, et celui qui en est la cible retrouve l’insulte dans la bouche de ses condisciples pendant longtemps qui se rient de lui à gorge déployée. Mais cela n’arrive qu’aux têtes brulées ou à ceux qui ne supportent pas qu’une femme dirige une équipe essentiellement masculine – et ils se font heureusement de plus en plus rares.
Belle reprend la main : « Pour commencer, vous m’amenez la ballasteuse sur le terrain d’essais ». Edgar sursaute. Une ballasteuse ? Il ne se souvenait pas d’avoir vu une ballasteuse dans la liste du matériel roulant commandé, liste qu’il gérait lui-même. Belle n’aurait tout de même pas osé commander du matériel roulant derrière son dos ? « Belle, de quelle ballasteuse s’agit-il ? ». Belle rit. Elle a tout de suite reconnu le ton anxieux qu’Edgar adopte si souvent. « Tu vas voir ». Edgar s’attend à voir sortir une longue machine jaune du hangar, mais ce qui surgit est un grand cylindre transparent géant avec une extrémité noire. Point de Plasser&Theurer ou Tutti&Quanti, mais une simple mention « Délhéz – poivre noir en grains ». Edgar lâche un soupir de soulagement. Il oubliait parfois à quel point sa collègue était débrouillarde.
« Belle, qu’est-ce qu’on a comme colles?
- Alors, on a de la colle Koemo, de la Cléocol et du Matte Medium de chez Golden. C’est un agent matifiant pour peinture acrylique.
- On ne teste par la colle Anita Decor ?
- On en a commandé, le colis est en route, mais ce sera pour une autre session de tests, là on ne peut plus attendre. »
Edgar approuve car il sait à quel point le Grand Régulateur veut avancer. Edgar n’a pas vu le temps passer depuis son embauche il y a quelques mois à peine, en janvier, mais il réalise qu’on est bientôt en mai et qu’on n’a pas encore la moindre section de voie opérationnelle, même pas pour prendre une photo d’atmosphère. Le Grand Régulateur l’appelle régulièrement, le noyant sous une flopée d’instructions concernant de multiples dossiers à ouvrir ou à suivre. Parfois il faut effectuer un changement de cap complet. La revitalisation de la compagnie n’en est qu’à ses débuts et il y a beaucoup à faire.
Edgar sort de ses pensées quand il voit arriver deux bols géants sur le terrain. « C’est pour diluer la Cléocol et le Matte Medium », observe Belle. « La colle Koemo a déjà la bonne consistance, mais les autres colles, il faut les diluer avec de l’eau. On va aussi y ajouter un peu d’agent mouillant ». Puis arrivent des bocaux géants. Le ballast. Edgar trouve le ballast Woodland Scenics un peu foncé pour figurer le ballast gris typique des lignes belges mais il attendra que les tests aient été menés jusqu’au bout avant d’en reparler avec Belle. Après tout,si l’on passe un voile de couleur rouille dessus, peut-être qu’il conviendra tout à fait. Edgar avait un faible pour les ballasts venus d’Allemagne. Ses confrères allemands rencontrés sur le forum Stummis lui avaient dit le plus grand bien de Koemo et Gleisschotterschmiede et leurs photos l’avaient convaincu. Mais c’est le Grand Régulateur et son œil aiguisé qui a le dernier mot sur les choix de ballasts et Edgar ne va pas risquer de discuter ce choix. Même les consultants du bureau Konter-Derivet n’oseraient pas contredire le Grand Régulateur sur ce dossier, alors que sur bien d’autres ils ne se gênaient pas pour sortie leurs critiques sèches et piquantes.
Les opérations démarrent. Edgar s’agace quand il voit sortir du hangar un pulvérisateur géant, du type de ceux qu’on utilise sur les plantes d’intérieur. « Belle, on avait dit qu’on allait employer un brumisateur à parfum, non ?
- C’est vrai Edgar, mais on n’a pas encore eu l’occasion de lancer l’appel d’offres et la compagnie possédait déjà ce pulvérisateur. Ne t’inquiètes pas, on va y aller doucement et le ballast non collé ne bougera pas. »
Déjà le premier segment est recouvert par le ballast Koemo. « Belle couleur », se dit Edgar, « mais les grains sont un peu gros tout de même. Par contre, le ballast rentre bien dans les interstices entre les traverses. » Les ouvriers manipulent un pinceau géant pour pousser le ballast resté sur les traverses.
« Dommage que ce soit de la voie en code 100. On ne pouvait vraiment pas descendre sur du code 75, ou au moins du code 83 ? » Cette remarque de Belle énerve Edgar. Ils en avaient déjà discuté des tas de fois. Le Grand Régulateur avait un stock d’appareils de voie Peco en code 100 et il n’avait pas voulu tout revendre. De toutes façons, qu’est-ce que cela pouvait faire pour des tests de ballastage ? Edgar est un peu vexé car c’était lui qui a dégotté un lot de voies Roco en seconde main, certes en code 100, mais à un prix défiant toute concurrence. Il avait tout de suite décidé de les faire acheter. Pour un prix pareil, il ne fallait pas les laisser passer ! La compagnie a donc un beau lot de voies pour tous ses tests. Cela dit, la remarque de Belle relevait plus de la provocation que d’une réelle opinion car elle savait qu’avec du code 100 il y aurait moins de déraillements et qu’elle devrait donc envoyer moins souvent la grue de relevage à la rescousse – et c’était heureux car elle ne l’avait pas, la grue, son acquisition n’avait même pas été évoquée. Belle ne s’inquiétait pas parce qu’elle savait qu’après quelques déraillements l’engin trouverait vite une place en haut de la listes des futurs achats. Cela dit, elle aimait faire mousser Edgar, ce qui était assez facile tant ce garçon était sérieux. Mais Edgar ne répond pas, tant il est habitué aux piques de Belle et la provocation se dégonfle.
Entretemps Belle doit se concentrer sur la commande des opérations. Le tronçon de voie a été divisé en tiers, dont les limites sont identifiées par des marques blanches au sommet des rails rouillés. Il faut maintenant les encoller. Une équipe a apporté la pipette géante et bientôt la colle Koemo est appliquée sur le premier tiers. Rapidement, le Matte Medium est dilué avec de l’eau déminéralisée dans un bol et un peu d’agent mouillant est ajouté dans le mélange. Edgar admire l’efficacité de l’équipe de Belle qui termine rapidement l’encollage du deuxième tiers de la voie. Le Matte Medium lui semble rentrer avec plus de difficulté dans le ballast. Y a-t-il assez d’agent mouillant dans le mélange ? Déjà, la Cléocol est diluée dans le second bol et le dernier tiers est encollé. Dans un ballet marqué par les mouvements des ouvriers, du matériel et ponctué par les ordres sonores de Belle, les deux autres segments sont ballastés et encollés rapidement. Le ballast Woodland Scenics est balayé avec un peu plus de difficulté hors de traverses, observe Edgar. C’est sans doute lié à sa légèreté, mais cela n’empêche pas les opérations d’être rondement menées.
« Beau travail, Belle !
- Merci Edgar mais ce n’était pas très difficile. Et puis, mis à part la ballasteuse, le matériel mis à disposition par le Grand Régulateur est vraiment bon. »
Bien sûr. Le Grand Régulateur ne lésinait pas sur la dépense pour la compagnie. Edgar n’avait aucun doute sur l’investissement personnel, aussi bien physique que financier, de ce mystérieux personnage, dans la compagnie. On disait qu’il en était le fondateur mais qu’il l’avait quittée plusieurs décennies auparavant. La compagnie avait alors connu une longue période de sommeil. Subitement, le Grand Régulateur en avait repris les commandes quelques mois auparavant, aussi surpris lui-même de ce qu’elle existât encore que de son intérêt ravivé pour le chemin de fer. Bien qu’Edgar entretienne des rapports quasiment quotidiens avec le Grand Régulateur, il ne l’avait jamais vu. Mais son autorité n’était discutée par personne au sein de la compagnie. C’était un personnage puissant aux voies aussi impénétrables que Dieu lui-même. Il faut dire qu’en quelques mois à peine il avait redonné vie à la compagnie. Un plan de réseau avait été établi en quelques jours et l’élaboration du réseau avançait sur différents plans. Edgar était bien au courant de tout cela puisqu’il était la cheville ouvrière de ce projet ambitieux.
Pendant que les ouvriers rangent le matériel dans les hangars quasiment sans que Belle ait quoi que ce soit à dire, Edgar prend quelques photos du ballast fraîchement encollé.
Edgar se dépêche car il a encore du pain sur la planche. Le matériel roulant arrive de partout et il doit organiser les réceptions. Rapidement, il salue Belle et son équipe et repart. Il reviendra rapidement pour voir le résultat une fois la colle séchée.
Et un bus pour Nivelles devant la gare.