OK, je vais essayer de vous en dire plus sans déflorer le futur bouquin de mon ami...
En passant et en relisant ce qui j'ai écrit dans ma dernière intervention, je me suis aperçu que j'avais écrit "12 décembre 1912" comme date, emporté dans le flot des 12

. Il s'agit bien sûr de 1917, comme le disait correctement Pierre juste avant !
L'histoire concerne un train de permissionnaires venant du front d'Italie. Si pour certains leurs souvenirs de la première guerre mondiale sont plutôt flous je peux faire quelques rappels pour mieux situer le contexte, mais cela risque de nous entraîner trop loin. Le train, arrivé d'Italie à Modane en deux sections, a été recomposé en gare de Modane pour former le train ML (Modane - Lyon) avec, selon les termes du rapport du Comité de l'Exploitation Technique des Chemins de Fer, rédigé par un certain M. Carpentier et que j'ai sous les yeux, "19 pièces comprenant 15 voitures à bogies et 4 voitures ordinaires, dont 2 à voyageurs. Ces véhicules, à l'exception du fourgon de queue appartenant à la compagnie du Nord, étaient du matériel italien". Le poids total du train était de 533 tonnes et la loco était la 2592 du PLM.
Le poids n'était-il pas excessif pour le feinage du train dans la descente ? C'est en fait l'essentiel des discussions interminables et des procès qui ont suivi. Et la situation n'est pas seulement des plus confuses mais aussi rendue plus compliquée encore par la multitude de règlements applicables : plus d'une vingtaine se contredisant parfois. La dernière note circulaire concernant le freinage de ce train, rédigée par le chef de bureau de l'Inspection Principale, Lodiot, est d'ailleurs arrivée à Modane juste après l'accident...
Bref, le départ était prévu pour 18 heures, le train, avec environ 1000 permissionnaires à bord, partira à 22h45. Il est freiné comme un train de marchandises en application de...
- l'Ordre de Service 37 de 1914 (les trains de voyageurs sont limités à 14 voitures à bogies)
- L'Ordre de Service 231 SP du 1er octobre 1917 (si un train est trop long pour être considéré comme train de voyageurs, il doit être considéré comme train de marchandise - ne riez pas : à cette époque le PLM distinguait 5 catégories de trains, dont les trains mixtes, les trains de messageries et les trains légers en plus des trains de voyageurs et ceux de marchandises)
- Train de marchandises = emploi de serre-freins, au minimum 6 selon l'Article 193 du Règlement Général (un pour 4 véhicules plus un, soit 19/4=5 plus un =6). Le train ML en a 7 au départ de Modane, soit un de plus que le prévoit le règlement. Mais 4 d'entre eux sont totalement inexpérimentés (guerre oblige) et surtout connaissent très mal la ligne. Pour l'un c'est le deuxième trajet sur la ligne, pour un autre c'est le tout premier (il a été embauché 3 jours auparavant !), un troisième n'a qu'une expérience de 4 trains sur Modane... On voit le tableau, d'autant plus que, rappelez-vous, le train quitte Modane à 22h45 : c'est le 12 décembre, il fait nuit noire...
Le train parcourt les premiers 2 000 mètres sans problème, vitesse sous contrôle, mais petit à petit celle-ci va s'emballer au cours des 4 km suivant (pente à 29,8 mm/m) pour atteindre 98 km/h à La Praz. Peu après l'enregistrement Flaman rend l'âme, ou plutôt il devient inexploitable parce que le mécanicien fait tout son possible pour diminuer la vitesse, les roues de la loco s'enrayent (v=0 km/h), tournent à nouveau, dépassant les 120 km/h... Aucune mesure n'est possible. Bref, malgré une "pause" à la Plaine des Berchettes la pente est de 29,9 à 30 mm/m en quasi continu jursqu'à St Michel-de-Maurienne. Au pk 221,977 le premier wagon déraille, juste avant le pont traversant l'Arc. Sur le pont les traces de déraillement sont multiples et plusieurs wagons ont déjà déraillé. 80 m après ce pont sur la rivière, le convoi arrive sous le pont qu'on aperçoit au fond sur la première photo et dans la tranchée de La Sausaz. Là, 1300 m avant la gare de St Michel, il y a rupture d'attelage entre le tender et le reste du convoi. La loco (+tender) poursuit sa course folle pour enfin s'arrêter en gare de St Michel. Le reste a moins de chance : le premier fourgon se met en travers des voies et les 18 voitures derrière lui viennent s'encastrer dans l'espace réduit que forme la tranchée à cet endroit.
Les secours se sont aussitôt organisés (il y avait une usine juste à côté de la ligne) et en gare de St Michel se trouvait un train d'infirmiers écossais en route pour le front d'Italie. Le problème, c'est que dans les 20 mn qui ont suivi un incendie s'est déclaré, très vite transformé en brasier avec de multiples explosions. C'est surtout cet incendie qui est à l'origine du nombre élevé de victimes (423 morts : aucun autre accident ferroviaire n'a été aussi meurtrier en France).
Alors, le train était-il insuffisamment ou mal freiné ? Le mécanicien (Girard) avait-il sous-estimé les capacités de sa machine ? Les ordres de service et les règlements avaient-ils été respectés ? n'avaient-ils pas engendré une extrême confusion ? Il y en a pour des pages et des pages à raconter tout ça ! Pas aujourd'hui

Sachez seulement que le mécanicien, après avoir été arrêté et détenu plusieurs semaines a finalement été blanchi par le tribunal militaire. Il y a eu d'autres inculpés : le sous-chef de gare à Modane (Cernesson), l'inspecteur principal de la 2e section à Chambéry (Bourgeois), etc. Mais finalement, s'ils étaient tous plus ou moins responsables, aucun n'a été déclaré coupable. Mais ceci est une autre (longue, longue) histoire...
bw