Milwaukee Road : dernier voyage sur l'extension Pacifique

[domi]

Le Chicago Milwaukee Saint-Paul and Pacific Railroad (Milwaukee Road) a été la dernière compagnie ferroviaire des USA à ouvrir sa ligne transcontinentale, en 1908. Contrairement à ses concurrents et prédécesseurs (Great Northern, Northern Pacific, Atchison Topeka and Santa Fe, Union Pacific / Western Pacific et Southern Pacific), il n'a jamais touché de subventions fédérales pour construire cette ligne transcontinentale.

Ceci associé à une très mauvaise gestion à partir de la fin des années 60 (certains disent que les derniers comités exécutifs du MILW étaient des sous-marins des compagnies concurrentes pour faire capoter l'entreprise), l'affaire a été pliée, la compagnie s'est déclarée en banqueroute en 1977 et le dernier train a circulé sur l'extension Pacifique (pour la faire courte, entre Miles City - Montana et Seattle - Etat de Washington) début 1980. Soit une longueur de plus de 3000 km de voies, dont le déferrage a été terminé moins de 2 ans après la fermeture, des fois que quelqu'un veuille racheter la ligne et la rouvrir (ça fait penser à la politique de la terre brûlée de la SNCF, que l'on observe malheureusement trop souvent).

Le Milwaukee Road est ainsi passé de compagnie Class 1 (compagnie transcontinentale) à compagnie régionale (cas unique dans le monde du chemin de fer, au moins en Amérique du Nord), avec un réseau couvrant en gros l'Illinois, le Minnesota, l'Iowa, le Wisconsin, le Nord-Dakota et l'est du Montana. Soit de Chicago jusqu'à environ 1500 km à l'ouest. La compagnie a disparu en tant que telle en 1986, rachetée par le Soo Line, lui-même racheté par le Canadien National en 1991 si ma mémoire est bonne.

Donc le 2 avril 1980, l'affaire était pliée sur l'extension Pacifique. C'est alors que deux cheminots de la compagnie Penn Central ont eu l'idée d'effectuer ce qui aura été l'ultime mouvement de "train" sur la ligne, de façon clandestine, au mois d'août 1980, soit un peu plus de 4 mois après la fermeture.

Pour ce faire ils ont acheté dans une casse pour $ 400 un "speeder", sorte de draisine de poche du poids d'une 2CV, motorisée en général par un petit monocylindre 2 temps refroidi par air d'une trentaine de ch, permettant une vitesse de pointe de l'ordre de 60 km/h en palier.

Voici ci-dessous le compte-rendu de leur voyage qui a pris une huitaine de jours, avec mult photos montrant l'environnement magnifique dans lequel cette ligne avait été construite.

http://newwww.weedroute.com/

Pour une meilleure compréhension au profit de ceux ici qui ne pratiquent pas la langue de Chèque Spire, une traduction en français est disponible dans un forum voisin au sein duquel j'ai mes entrées.

https://forum-us.forumactif.com/t2321-t ... nsion-trip

Ceux qui ici ont une petite connaissance de ce que fut cette magnifique ligne de chemin de fer imagineront les puissantes General Electric "Little Joe" ( https://www.trainsdesameriques.fr/little-joe.html ) et "Boxcab" ( https://www.mtmemory.org/nodes/view/17479 ) qui ont parcouru la section comprise entre Harlowton (Montana) et Avery (Idaho), soit 700 km, électrifiée jusqu'en 1974..

Bon voyage.

Domi

[Tonio EC]

Formidable reportage Domi, merci de nous en faire profiter ! Ces réseaux US (disparus ou encore existants) m’ont toujours fait rêver.

Antoine R.

[domi]

Avec plaisir Tonio. Pour avoir eu longtemps l'occasion d'admirer ces réseaux de visu (pas le Milwaukee Road, malheureusement ), j'en suis moi aussi devenu totalement accro.

Domi

[242TE66]

Très intéressant et très instructif. Merci beaucoup, domi.
Mais quel gâchis...!

D'après les commentaires des internautes US, le dernier dirigeant avait été soudoyé par la concurrence pour couler sa propre entreprise. Un traitre, donc...! A noter que ça n'arrive pas qu'au chemin de fer, et que ça peut arriver aussi de ce côté-ci de l'Atlantique....

242TE66

[domi]

Très intéressant et très instructif. Merci beaucoup, domi.
Mais quel gâchis...!

D'après les commentaires des internautes US, le dernier dirigeant avait été soudoyé par la concurrence pour couler sa propre entreprise. Un traitre, donc...! A noter que ça n'arrive pas qu'au chemin de fer, et que ça peut arriver aussi de ce côté-ci de l'Atlantique....

242TE66

Avec plaisir ! En effet je citais ci-dessus en préambule l'hypothèse selon laquelle cette compagnie a été torpillée par sa direction. Bien évidemment on ne pourra jamais rien prouver.

Mais il est un fait que de très grossières erreurs ont été commises par la direction (qui ne venait parfois plus du monde ferroviaire mais qui étaient des avocats, financiers, etc) dans les 20 dernières années d'exploitation de cette extension :
-Absence de maintenance des infrastructures et matériels, à commencer par les voies. L'entreprise préférait verser des dividendes aux actionnaires plutôt que renouveler les voies et réparer le matériel roulant. À la fin de la vie de l'extension Pacifique, il y avait quasiment un déraillement quotidien, pour (seulement !) trois circulations dans chaque sens. Là où à l'apogée de cette compagnie les trains mettaient 55 heures pour parcourir le trajet Chicago-Seattle, à la fin de la vie de l'extension Pacifique le temps de parcours moyen était de 140 heures... si le train ne déraillait pas. Le matériel moteur était géré sous le principe "ça roule ou on l'abandonne sur une voie de garage" (avec à la fin plus de 50% des locos indisponibles). Une fois de plus, la financiarisation de l'économie montrait ses brillantes limites.
-Choix de supprimer l'électrification des deux sections concernées, soit plus de 1000 km, au moment du choc pétrolier de 1973-1974. À capacité de traction égale, la traction diesel coûtait alors le double de la traction électrique dans une zone géographique où le courant de traction était fourni par l'énergie hydraulique...
-Totale absence de dynamisme commercial : la compagnie refusait d'acheminer les wagons vides en transit, et appliquait des tarifs dissuasifs pour les clients captifs se trouvant le long de ses voies (donc ne pouvant pas se tourner vers d'autres compagnies), à l'époque où les transporteurs routiers bouffaient au rail des parts de marché pantagruéliques.
-Etc, etc...

C'est bien triste. Cette compagnie aurait dû survivre. Outre le fait que je suis un fanatique des GE Little Joe et Boxcabs qui assuraient la traction électrique sur les parties électrifiées de cette ligne, les vidéos, forcément anciennes, montrent des paysages magnifiques, avec comme hauts-lieux les boucles de Vendôme, et le "fer à cheval" du Saint-Paul Pass. J'ai lu dans "Trains" (voir plus bas) que si l'extension Pacifique avait pu survivre, sous la houlette d'un Milwaukee Road subsistant ou d'une autre compagnie, l'augmentation de trafic transcontinental observée ces dernières décennies aurait pu être mieux absorbée.

Par ailleurs il y avait un certain savoir-faire dans cette entreprise. Voire l’art du système D. Les ingénieurs de la compagnie avaient réussi à créer une liaison permettant de joindre les 34 crans de traction des Joe (de mémoire) aux 8 crans de traction standards de tous les diesels US. Ainsi les Joe, au nombre de 12 pour toute la compagnie, sans doute numériquement insuffisantes à l'apogée du trafic (1973), pouvaient rouler en UM (et non pas en DT) avec ce qu'il fallait de diesels SD40-2, SD45, U30C ou GP9 derrière elles pour assurer l'effort de traction nécessaire aux trains devenant de plus en plus lourds.

Pour ceux d'entre vous qui ne craignent pas la langue de Chèque Spire, je recommande ce DVD passionnant et bien émouvant :

https://www.pentrex.com/DVD-Milwaukee-R ... D_MILW-DVD

Filmé vers 1972, avec l'équipement de l'époque. Caméras Super-8, dont certaines étaient probablement "muettes" (j'ai connu ça gamin, mes parents en avaient une). Il a fallu rajouter des sons, mais tous ne coïncidaient pas avec les scènes filmées. Ainsi on pourra constater çà et là des absences d'effet doppler au passage des trains, des sonorités de diesels GE là où seules des EMD accompagnent la Joe de tête et inversement, etc.

Mais je recommande absolument ce DVD.

Et pour ceux qui sont intéressés, je tiens à leur disposition un article de "Trains" (Kalmbach publishing) datant de 2019 qui décrit tout ce qui a conduit au crash de cette compagnie, que je reprenais ci-dessus.

Domi