un métier: cheminot

Les photographies, les récits, tout ce qui concerne le chemin de fer ancien.

Re: un métier: cheminot

Messagepar bnicolas1987
12 Aoû 2014, 23:23

Salut,
Merci pour tous ces récits!!!!!

C'est juste impressionnant et je crains que malheureusement cette époque soit révolue.

Je suis assez surpris que l'attelage de secours ai tenu autant de kilomètres sans lâcher, mais c'est déjà beaucoup.

J'ai bien ri avec ton histoire de vodka et caviar frelaté. :mdr2:

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Re: un métier: cheminot

Messagepar malletslm
13 Aoû 2014, 07:38

... dont MÊME le chat n'a pas voulu ! :mdr2:

Toujours aussi passionnante, cette "inside story" ! :cool: :cool: :cool:
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
13 Aoû 2014, 08:05

Bonjour,

Une société du nom de West-Rail fut créée pour piloter le projet visant à définir les rames (tri et quadricourant) et l’exploitation de Thalys. Je crois que les personnes qui la composaient étaient pour la plupart issues des NS. Pour populariser le TGV aux Pays-Bas, West-Rail avait demandé à la SNCF de lui louer une rame TGV A afin de l’exploiter sur le réseau néerlandais. J’avais participé à une réunion préparatoire chez Grandes Lignes SNCF à la gare Montparnasse. Bien évidemment, ce fut une nouvelle fois le TGV 325 qui fut désigné pour y participer.

L’équipe constituée ressemblait en partie à celle de la Tchécoslovaquie. Par contre, la Dir. Co ne participant pas, nous étions entre agents du Matériel et de la Traction. Ainsi, je retrouvais José Ramos, Patrick Gauchet et son acolyte, Pierre Venturi et Michel Boiteau ; Michel Lorrand avait remplacé Alain Destouches. De plus, nous avions avec nous un spécialiste de la sono et de la vidéo et un autre pour les portes d’accès. Enfin, un troisième conducteur, Michel Charbonnier s’était joint à nous, constituant un détachement de dix personnes, nombre que je tiens à ne pas dépasser. Le convoi expédié est constitué du TGV 325 (motrices nez-à-nez), d’une voiture Club 34 et d’une VU B10c10ux. Cette voiture est idéale pour deux raisons : avec ses dix compartiments, elle garantit une « piaule » par personne et peut circuler partout en Europe UIC. Cette dernière étant fournie par la gérance de Paris-Masséna, José l’avait fait équiper de matelas confortables tels qu’on en trouvait dans les Wagons-Lits. Sur une couchette du bas, on pose le matelas et l’oreiller, les deux couchettes supérieures étant relevées. Par contre, en face les trois couchettes restent horizontales et forment de très bonnes étagères pour le rangement des effets personnels. De plus, le confort procuré par les bogies Y32 est excellent, à 100 km/h de surcroit qui est la vitesse maximale en acheminement (limite occasionnée par le TGV freiné à demi-puissance). Ajoutez à cela une Club 34 approvisionnée en victuailles, on dispose presque d’un hôtel-restaurant, enfin presque…..
Michel Charbonnier était un ancien de Paris-Sud-Ouest venu au TGV. Il connaissait donc bien la conduite sous 1500 V et notamment le comportement des CC 6500 à 200 km/h par tous temps. Compte tenu des conditions climatiques auxquelles on pouvait s’attendre en ce mois de décembre 93, il m’a recommandé de prendre des archets de pantos de réserve. Nous en avons soustrait six sur les racks de stockage de Chatillon et les avons embarqués dans la B10c10ux. Grand bien nous en a pris, nous les avons tous utilisés !

Arrivés à Roosendaal, nous sommes accueillis par Joop Braber et Michail Jonkers. Tous deux parlent un français irréprochable. Après les salutations et présentations d’usage, Joop a demandé « qui est le chef » ? Je lui ai répondu : « il n’y a pas de chef, je suis le responsable ». Ceci dit, j’avais une première requête à formuler : trouver un dentiste pour soigner la rage de dents de Pierre. Le temps qu’il soit conduit vers un cabinet dentaire, nous avons pu faire les manœuvres pour reconstituer la composition normale du TGV et rétablir les pressions nominales aux cylindres de frein. Puis, nos deux voitures ont été prises en charge par une CC au look américain de la série 1200. Joop m’a dit : « cette machine vous est affectée en permanence, c’est la 1220 ». En effet, elle a alimenté les voitures 24h/24, tous les jours et a assuré leurs déplacements lors des diverses étapes du séjour pour être au plus près du garage du TGV.

Le but de ce voyage était d’assurer des relations intérieures avec le TGV en lieu et place de matériel classique des NS, que ce soient des rames automotrices ou des rames réversibles. Ainsi, les télé-pancartages sur les quais informaient les voyageurs que le train qui entrerait en gare correspondait bien à celui qui était affiché ! Durant cette prestation, nous avons presque tout vu :
- un voyage Utrecht-Amsterdam à l’heure de pointe matinale. J’estime entre 30 et 40 % la sur-occupation de la rame sans compter les incontournables vélos chargés à bord : s’il avait fallu intervenir quelque part, nous aurions été bien incapables de cheminer dans les remorques !
- idem sur un voyage au départ de Maastricht où la rame avait été envahie par des lycéens de retour vers leur domicile. A cette heure de sortie de classe, les ventes au bar avaient bien fonctionné !
- durant tous les voyages, il y avait à bord la « promotion team » composée de jeunes étudiants (une équipe essentiellement féminine) qui avait pour mission de distribuer des prospectus sur le futur projet Thalys et aussi de distribuer des canettes d’Orangina. Cette marque de boisson étant complètement inconnue aux Pays-Bas, les marketteurs avaient profité de l’occasion pour en assurer la promotion. A cet effet, 800 kg de petites bouteilles avaient été chargées dans le compartiment à bagages de la remorque R1. A l’époque, le plafond du bar de la R4 était équipé d’un meuble contenant deux moniteurs vidéo. Les gens d’Orangina nous avaient demandé de diffuser en boucle la vidéo de la « lambada ». Ce tube planétaire avait été sélectionné tout simplement parce que, durant un court instant, on aperçoit une bouteille d’Orangina sur une table de bistrot lors de la démonstration de danse des deux adolescents. A la longue, y en avait un peu marre de la lambada….
- un jour, sans voyageurs à bord, il nous a été demandé de participer à une séquence filmée un peu dangereuse. C’était visiblement un court métrage un peu beaucoup « déjanté » où il fallait que le TGV s’approche jusqu’à environ un mètre d’un type debout au milieu de la voie près d’un pont métallique. Il était vêtu de sacs poubelle, casqué et horriblement maquillé. De plus, il a fallu réaliser trois prises de vue. Pierre, qui était au manche, m’a avoué qu’il n’en a pas mené large….
- il était fréquent que la nuit, la température passe en dessous de zéro. Il nous est plusieurs fois arrivé d’assurer le premier passage sous la caténaire givrée. Les étincelles au contact des archets de pantographes éclairaient la campagne d’une jolie couleur bleue. C’est en grande partie pour cela que nous avons « bouffé » tant d’archets. Et changer des archets par temps froid, la nuit tombée, sans passerelles d’accès à la toiture, ce n’est pas très réjouissant.
- c’est bien connu, les TGV sont équipés de WC chimiques étanches avec réservoirs de rétention. Les grandes gérances de TGV possèdent une voie dédiée pour les opérations automatiques de vidange, nettoyage et recharge desdits réservoirs. Dans le cas d’une utilisation normale, ces opérations sont (étaient à l’époque) programmées environ tous les trois jours. Toujours à l’époque, les grandes gares terminales de province desservies par TGV étaient pourvues d’une PM (pour pompe mobile, mais bien plus connue pour pompe à autre chose). Cette PM est un véhicule électrique automobile comprenant un poste de conduite, une cuve en polyester d’une contenance d’un m³ et d’un panneau de commande des cycles de régénération d’une toilette. Compte tenu des distances parcourues aux Pays-Bas, nous avions prévu qu’une vidange des WC à mi-séjour serait nécessaire, voire obligatoire. Pour cela, Bordeaux avait prêté sa PM qui a été expédiée à Amsterdam. Une nuit, une opération a été programmée : manque de chance, la PM n’a pas voulu fonctionner malgré des tentatives de calage des contacteurs et de forçage des séquences, tout simplement parce que l’eau avait gelé dans les canalisations. Il a donc fallu reprogrammer l’opération pour la nuit suivante. La PM avait été gardée au chaud dans un atelier toute la journée. Par contre, aux Pays-Bas les ateliers de maintenance sont courts et ne peuvent pas accueillir un TGV A de près de 240 m de long. Le seul endroit utilisable fut le bâtiment du tour en fosse. Nous avons donc passé les bogies un par un sur le tour jusqu’au défilement complet de la rame. Pour couronner le tout, il n’y avait pas de lieu de stockage des effluents. Donc, quand la PM fut pleine, il a fallu interrompre l’opération : elle fut vidée à l’aéroport de Schiphol le lendemain dans la matinée et la nuit venue, rebelote pour la demi-rame restante.



Tous les jours ou presque, nous changions d’hôtel. Ceux que West-Rail nous avait loués étaient toujours de qualité. Un soir, la fin du séjour approchant, j’ai eu un petit coup de blues et en plus, il faisait un froid de canard sous la pluie. J’ai dit à José : « j’en ai marre, je dors en France ». Il m’a répondu : « je t’accompagne » ! En fait, nos deux voitures étaient à quelques mètres de là. A peine entrés, nous nous sommes régalés de la douce chaleur régnant dans la Club 34 et dans la VU. J’ai bien dormi….
Pour notre dernier jour aux Pays-Bas, nous avons recomposé le convoi en mode « acheminement ». Nos collègues néerlandais nous avaient fait part de leur intention de nous raccompagner jusqu’à la frontière belge. Nous avons fait quelques « petites » courses et avons dressé les tables en forme de buffet. Nous avons pris apéritifs et dégusté de la cuisine à la française. Joop s’est approché de moi et m’a demandé : « peux-tu me dire la différence entre chef et responsable » ? Je lui ai répondu : « tant que tout va bien je suis le responsable ; si tout était allé mal, j’aurais été le chef ». Il a conclu : « tu as de l’intelligence sociale » et nous avons à nouveau trinqué. J’ai revu Joop aux ateliers du Landy lors de la réception de la première rame PBKA : nous nous sommes retrouvés avec plaisir….



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Re: un métier: cheminot

Messagepar Challenger60
13 Aoû 2014, 16:41

Passionnant!! Autant le récit que ce que tu as dû vivre! :cool: :applause:
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Pierre bis
13 Aoû 2014, 23:42

malletslm a écrit:... dont MÊME le chat n'a pas voulu ! :mdr2:

Toujours aussi passionnante, cette "inside story" ! :cool: :cool: :cool:


Les chats sont les derniers êtres à qui refiler un produit avarié. Ils pourraient même servir de goûteurs efficaces.

Les pays de l'est des années 90 avaient un côté far-west indiscutable. Ma femme m'a raconté pas mal de choses sur la Russie. Aujourd'hui c'est plus sûr et moins exotique. Mais il n'y a plus d'affaires à faire ... Bonnes ou mauvaises. Du moins pas plus qu'ici.
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
15 Aoû 2014, 11:16

Bonjour,

Une fois encore, nous sommes allés aux Pays-Bas, cette fois-ci avec un TGV R bicourant pour faire des mesures de compatibilité électromagnétique. Compte tenu de la courte durée du séjour, nous n’avons pas mis les motrices nez-à-nez, mais avons utilisé les attelages de secours pour le trajet belge sous 3 kV (les rames TGV R tricourant n’étaient pas encore disponibles). A l’issue des essais sur le réseau NS, nous avons demandé à la SNCB de nous envoyer une locomotive dont le tendeur d’attelage aurait été déposé au préalable afin de gagner du temps et pouvoir monter directement l’attelage de secours. Dans la vie, il y a fréquemment un cas où l’on a une chance sur deux : hé bien là, mauvaise pioche, l’attelage de la machine a bien été déposé, mais coté belge et non pas coté hollandais.

Qu’à cela ne tienne, on prend en main la caisse à outils disponible en motrice TGV qui contient l’outillage nécessaire, à savoir un marteau, un chasse-goupille, une pince multiprises et du fil de fer. Et quand ça ne va pas, tout s’enchaine. Impossible de redresser et d’extraire la goupille fendue. Nous sommes donc allés chez le quincailler le plus proche pour acheter une scie à métaux afin d’éliminer la tête et les queues de la goupille. On a pu ensuite chasser l’axe, déposer le tendeur et monter l’attelage de secours sur la HLE.

Au travers de rapports concernant quelques demandes de secours de TGV en ligne, il apparaissait clairement que les opérations de montage des attelages de secours requéraient un temps trop long. Bien sur, une formation du personnel inadéquate fut suspectée. Je suis donc allé voir le chef du Département de la Maintenance des TGV et lui ai expliqué que l’opération la plus longue consistait à déposer cette foutue goupille. Nous avons donc fait venir une rame TGV R en gare de Paris-Bercy et commandé la locomotive de réserve du Charolais, une BB 7200 anonyme en l’occurrence. Nous avons chronométré toutes les opérations nécessaires à l’équipement d’une machine portant le secours avant sa mise en tête. Forcément, l’opération la plus longue a été la dépose de la goupille. Cet essai a été suivi par la mise à l’étude d’une goupille élastique qui se chasse par un simple coup de marteau. Depuis, pratiquement toutes les locomotives de la SNCF en sont équipées.





L’essai a également entrainé l’étude d’un attelage de secours ne nécessitant pas la dépose du tendeur de la locomotive portant le secours. Il était en acier et comportait même des raccords rapides Staubli pour faciliter les accouplements des conduites pneumatiques. Avec le collègue en charge du dossier, nous avions fait un essai du prototype sur une BB 9700 au Charolais. Cet attelage de secours était prévu pour les X 73500 : je ne sais pas quelles suites ont été données, ni même s’il a été généralisé….

Puisque nous parlons d’attelages, j’ai participé à une campagne d’essais qui semblait prometteuse. L’industriel allemand Knorr Bremse a développé un attelage automatique pour wagons afin de réduire les temps et les couts des opérations d’attelage/dételage dans les triages. Il n’était pas question de relancer l’attelage automatique UIC des années 60 et qui fut définitivement abandonné au milieu des années 70 pour des raisons économiques, mais de proposer un attelage automatique moins onéreux et avec lequel les réseaux - et les particuliers - pourraient équiper leur parc de wagons à la demande et/ou au strict besoin, tout en conservant la compatibilité du reste du parc.
Le projet, nommé Z-AK en Allemagne, était désigné AAST en France pour : Attelage Automatique de Simple Traction. Le principe repose sur les caractéristiques suivantes :
- son montage sur les wagons existants est relativement simple : il se loge en lieu et place de l’attelage UIC et utilise le système élastique de traction déjà en place. Par contre, il faut adapter son support sur et sous les traverses de tête, installer les commandes à distance de l’attelage (déverrouillage et position longitudinale), modifier les conduites de frein et installer leur commandes à distance. Toutes ces commandes se font depuis le long du châssis.
- c’est un attelage mixte ; à savoir, qu’il s’accouple automatiquement avec son homologue et manuellement avec un attelage UIC. Pour cela, il doit respecter l’espace pour l’atteleur appelé également « rectangle de Berne ».
- le maintien des tampons est obligatoire car cet attelage n’est pas apte à la compression.
- du fait de la présence des tampons, il n’est pas possible de le découpler en courbes serrées (lorsque les tampons sont comprimés) telles qu’on les rencontre dans les embranchements de particuliers. Pour y remédier, la tête d’attelage coulisse sur la tige de traction. La position courte se fait automatiquement lors de l’attelage ; par contre, la position longue est commandée manuellement par l’agent de manœuvre par relevage de la fourchette de positionnement. La distance entre l’attelage court et l’attelage long est de 60 mm.
- la liaison CG (conduite générale du frein) est logée dans la tête d’attelage. Elle se connecte automatiquement entre deux têtes ou manuellement dans le cas de l’attelage mixte.

Plusieurs wagons de la DB ont ainsi été équipés et ont circulé en Allemagne afin d’être testés en ligne. Comme cela se fait en France avec la SNCF, c’est le département essais de la DB qui supervisait les tests, avec l’inévitable voiture de mesures, la « Messwagen », incluse dans le convoi. Le produit, bien que nécessitant d’inévitables mises au point, semblait donner satisfaction, ce qui a incité la société Knorr Bremse à faire homologuer l’attelage. Pour cela, il a fallu le tester dans toutes les conditions climatiques, notamment dans le froid et la neige. C’est donc la Suède qui a été retenue, au mois de février 1995. Afin que les résultats soient homologués, l’UIC avait demandé à ce que des représentants d’autres réseaux assistent aux essais.

J’ai donc représenté la SNCF, seul réseau présent durant les marches sur la ligne Östersund (Suède) à Trondheim (Norvège) pendant 3 semaines. Le Chef d’essais de la DB et moi logions à l’hôtel Clarion, alors que les opérateurs séjournaient dans leur Messwagen. Les marches d’essais commençaient aux environs de 06h45 et se terminaient vers 17h30, autrement dit on commençait et on finissait de nuit. Le soir, à peine arrivé à l’hôtel, une bonne douche chaude faisait du bien. Je me souviens d’un thermomètre digital sur la place jouxtant l’hôtel indiquant parfois une température légèrement positive en rentrant du boulot et qui indiquait une température se situant aux alentours de – 25° en sortant du restaurant vers les 22h30. En Suède, du moins à Östersund, tout commerce ferme le samedi à 14h00 pour n’ouvrir que le lundi à 08h00. Inutile de vous dire qu’il y a de quoi trouver le temps long. Même le restaurant de l’hôtel était fermé le dimanche : heureusement qu’il y avait une gargote, soit disant mexicaine, pour manger chaud, dégueulasse, mais chaud ! Pour tuer le temps, je me suis un peu baladé à pied et le dimanche après-midi je me goinfrais « l’école des fans » animée par Jacques Martin à la télé. J’ai aussi effectué quelques voyages en train, à condition de ne pas aller trop loin pour être sur de revenir dans la même journée…..

Au début, le train d’essai était tracté par une antique locomotive de type 1C1 série D. Elle tombait fréquemment en panne. Le conducteur dépannait tant bien que mal sauf un jour où elle a rendu l’âme pour de bon ! Un technicien d’essai allemand m’avait dit d’un air moqueur : « repariert hier, kaput da » ! Même avec mon allemand basique, j’ai bien compris. Nous avons été secourus par une locomotive Rc2 (une machine comparable à nos BB 15000). J’avais fait le voyage en cabine de nuit : la neige recouvrait la voie, on ne voyait que la caténaire et les poteaux. Le phare supérieur est un véritable projecteur dont la portée est énorme. Je me souviens d’avoir vu traverser des rennes, cerfs et autres biches (je ne connais pas bien la différence) dans le faisceau lumineux : spectacle grandiose ! Toujours est-il que le chef d’essais s’était plaint auprès des SJ et que nous n’avons eu par la suite que des Rc2 pour nous tracter. Durant cette campagne d’essais, le bilan peut se résumer ainsi : lorsque les têtes d’attelage sont exemptes de neige, tout va bien. Par contre, la neige et la glace ne conviennent pas à cet attelage automatique. Il sera nécessaire de revoir la copie et repartir pour une nouvelle série de tests l’année suivante, à la même époque et de durée équivalente.
A noter que dans le convoi, deux wagons étaient équipés d’un attelage automatique BSI. Cet attelage était compatible de l’attelage russe. Son principe reposait sur une tête d’attelage escamotable vers le bas permettant l’attelage mixte. Il suffisait de relever la tête pour faire un attelage entièrement automatique entre deux wagons. Cet attelage avait un inconvénient : la liaison CG passant transversalement aux têtes faisait que celles-ci étaient impossibles à déverrouiller tant qu’il avait pression d’air entre elles ; il fallait donc purger pour dételer. De plus, la CG faisait un coude sans rayon à 90° dans la tête, ce qui n’est pas conforme à la règle UIC. BSI n’est pas venu à la 2ème campagne d’essais.

Lors de la 2ème campagne d’essais, je me suis nettement moins emm..dé les week-ends car, avec les cheminots allemands, nous allions profiter des stations de sport d’hiver et autres promenades en scooters des neiges.







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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
15 Aoû 2014, 11:29

Attelages Z-AK (AAST) montés sur deux wagons SNCF présentés à l'exposition de Paris-Bercy en septembre 1996. Le capot de protection est déposé sur une des deux têtes pour montrer le mécanisme.

img251.jpg

img252.jpg

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Re: un métier: cheminot

Messagepar sncb_nmbs
15 Aoû 2014, 13:58

Undertaker a écrit:Bonjour,

(...) Dans la vie, il y a fréquemment un cas où l’on a une chance sur deux : hé bien là, mauvaise pioche, l’attelage de la machine a bien été déposé, mais coté belge et non pas coté hollandais.

Qu’à cela ne tienne, on prend en main la caisse à outils disponible en motrice TGV qui contient l’outillage nécessaire, à savoir un marteau, un chasse-goupille, une pince multiprises et du fil de fer. Et quand ça ne va pas, tout s’enchaine. Impossible de redresser et d’extraire la goupille fendue. Nous sommes donc allés chez le quincailler le plus proche pour acheter une scie à métaux afin d’éliminer la tête et les queues de la goupille. On a pu ensuite chasser l’axe, déposer le tendeur et monter l’attelage de secours sur la HLE.

Au travers de rapports concernant quelques demandes de secours de TGV en ligne, il apparaissait clairement que les opérations de montage des attelages de secours requéraient un temps trop long. Bien sur, une formation du personnel inadéquate fut suspectée. Je suis donc allé voir le chef du Département de la Maintenance des TGV et lui ai expliqué que l’opération la plus longue consistait à déposer cette foutue goupille. Nous avons donc fait venir une rame TGV R en gare de Paris-Bercy et commandé la locomotive de réserve du Charolais, une BB 7200 anonyme en l’occurrence. Nous avons chronométré toutes les opérations nécessaires à l’équipement d’une machine portant le secours avant sa mise en tête. Forcément, l’opération la plus longue a été la dépose de la goupille.
Cet essai a été suivi par la mise à l’étude d’une goupille élastique qui se chasse par un simple coup de marteau. Depuis, pratiquement toutes les locomotives de la SNCF en sont équipées.
(...)
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Tu m'as fait peur avec le terme "goupille élastique", car je voyais ceci :

goupille élastique - Recherche Google.png
Capture d'écran


qui forcément ne correspond pas au système présenté par toi :rhaaa:

Mais c'est vrai que même en atelier, les mécanos ont toujours eu des problèmes pour les enlever ces satanées goupilles fendues, sans parler qu'il faut en avoir une autre sous la main, et ce, aux bonnes dimensions :siffle:

Merci pour ton REX.
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard dit Papy
16 Aoû 2014, 17:02

Merci 2B pour tes récits . Ta vie professionnelle est une vie riche qui ne cesse de nous dévoiler des tas de choses ignorées par le commun des mortels .

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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
17 Aoû 2014, 10:13

Bonjour,

Il y a eu les Congrès Eurailspeed. Ces manifestations, d’une durée de 3 à 4 jours, étaient organisées par l’UIC et se présentaient en général de la manière suivante :
- colloques traitant de plusieurs thèmes auxquels s’inscrivent conférenciers et congressistes. Dans un cas comme dans l’autre, ils sont essentiellement issus des réseaux exploitants et des constructeurs.
- dans le palais des congrès, exploitants et industriels disposent d’un stand.
- exposition de matériels ferroviaires en gare. Celle-ci est réservée aux professionnels et aux officiels durant la première matinée inaugurale, puis est ouverte au grand public pour le reste du salon.

La première session a eu lieu à Bruxelles en avril 1992, les matériels étant exposés en gare de Schaerbeek. Il y avait : un ICE 1 (DB), un ETR 500 (FS), le TGV 325 (SNCF), un X3 (DSB), une Re 460 et une voiture panoramique (SBB CFF), des maquettes échelle 1 du TGV 2N (SNCF) et des maquettes échelle 1 de l’AVE (RENFE). Je retiendrai le magnifique et oh combien sympathique accueil des cheminots belges, en particulier un certain Jean Tasiaux , Chef du dépannage des locomotives à Bruxelles –Midi, qui était marié à une tout aussi adorable « Micheline ».









En mai 1993, nous sommes allés à Francfort pour participer à un congrès européen sur la voie. La société Sateba exposait ses divers produits à l’extérieur et à l’intérieur d’un grand stand (traverses, appareils de voie, attaches etc.) et pour affirmer la technicité de l’industrie ferroviaire française, cette société avait demandé à la SNCF, via la FIF (fédération des industries ferroviaires), de joindre la rame TGV 325 à l’exposition. Nous partîmes donc une fois de plus avec notre convoi habituel. Arrivés sur le site de l’exposition nous avons reconfiguré le TGV en composition normale, mais toujours relié à la BB 66400 par l’attelage de secours. Il ne nous restait plus qu’à refouler la rame à l’emplacement prévu, c'est-à-dire au droit du stand de Sateba sur la voie contigüe. Les allemands ont tenu à ce que la manœuvre se fasse avec leur locotracteur. Qu’à cela ne tienne, nous sommes descendus du train et avons observé la manœuvre. La rame refoulait à faible vitesse, mais au bout d’un moment nous avons vivement alerté l’agent de manœuvre car le nez du TGV n’était plus qu’à 5 mètres d’un wagon plat à bogies chargé de traverses. Le type, comme si de rien n’était, n’a donné l’ordre d’arrêt que lorsque le nez de la motrice ne fut qu’à un demi-mètre. Et donc, forcément, avec le temps de réaction, le pif fut écrasé, bien sur du coté visiteurs. Les dégâts furent heureusement moins importants qu’en Tchécoslovaquie. Alors, nous avons retiré les trappes de nez détériorées et les avons remplacées par celles de l’autre motrice. Au fond, comme la 66000 était restée attelée par l’attelage de secours, on n’y voyait pas grand-chose. J’ai dit à mes collègues, la prochaine fois en pareil cas, il y aura un agent en cabine prêt à enfoncer le BP URG (déclenchement du frein d’urgence). Néanmoins, je l’avais un peu saumâtre !

Après avoir quitté Francfort sans regrets, nous avons fait escale à Charleroi pour le week-end. Il y avait là une fête pour les 150 ans de la liaison Namur-Charleroi. Arrivés le vendredi après-midi, nous avons eu tout notre temps pour installer la rame 325 au quai 1, face au BV. Toute autre ambiance chez nos amis les belges ! Le samedi matin, nous avons eu la visite du Bourgmestre de Charleroi, vêtu en grand apparat. Puis, nous avons été traités comme des rois ! Promenade en locomotive à vapeur, sur la plateforme évidemment : cette machine faisait des allers-retours entre Charleroi et Namur ; c’était une sorte de grosse 140 U (ou petite 141 R au choix) avec une rame historique. Nous avons également visité un grand réseau en HO logé à l’étage dans le BV. Je me souviens d’une vraie fête à la belge : sur les quais, il y avait des bourses d’échanges de modèles et d’objets ferroviaires, des bouquinistes, des commerçants, des baraques à frites et aussi, et surtout, des débits de bière. A Charleroi, le patron m’a dit : « j’ai 39 bières à la pression différentes ». Contrairement à Francfort, j’ai quitté Charleroi à regret…
Ce sera aussi la quatrième et dernière sortie de la rame TGV 325 à l’étranger.



La France a également organisé son congrès Eurailspeed : il a eu lieu à Lille en octobre 1995. Le matériel fut exposé en gare de Lille-Flandres. J’avais été chargé d’organiser la mise en place des trains : lors d’une réunion tenue à Paris au siège de l’UIC, j’avis demandé à chaque réseau exposant de bien vouloir me fournir les dimensions et les besoins nécessaires pour chacun de leur matériel. Finalement, la configuration suivante a été retenue :
- ICE (DB) en composition raccourcie : besoin d’une source extérieure en électricité et en air.
- X 2000 (SJ) : besoin d’une source extérieure en électricité et en air. L’énergie électrique fut fournie par un groupe électrogène conteneurisé sur un wagon plat venu de Suède.
- AVE (RENFE) : rame autonome sous 25 kV.
- TGV Duplex (SNCF) : rame autonome sous 25 kV.
- Eurostar (BR/SNCB) en demi-rame : rame autonome sous 25 kV.
- ETR 500 et ETR 460 (FS) en composition à 3 caisses chacun. Chaque tronçon encadrait une BB électrique fonctionnant sous 25 kV. Il s’agissait d’une locomotive construite à 20 exemplaires pour la Sardaigne et qui n’ont jamais quitté le continent. La locomotive alimentait donc les deux rames italiennes : par contre, cet ensemble n’était pas autonome.

Le Directeur de la région de Lille avait envoyé un message fort et clair : « il est hors de question qu’Eurailspeed coule le TER ! ». Le chef de gare de Lille, Bernard Dieuwart, m’avait accordé une voie en permanence et m’avait assuré que son plan de transport régional ne serait pas impacté. C’est donc naturellement sur cette voie que l’ICE et l’X 2000 se sont retrouvés nez-à-nez et y ont séjourné en permanence compte tenu de la difficulté à les manœuvrer rapidement. Grâce aux ateliers d’Hellemmes, j’avais fait confectionner les câbles électriques et les conduites pneumatiques, installées au préalable le long de la voie afin que nos hôtes n’aient qu’à se connecter dès leur arrivée et j’y tenais tout particulièrement. Bernard avait une salle de réunion privilégiée répondant au nom de code « BDLG » (buffet de la gare). C’est là que nous tenions nos briefings. Finalement, dès 17h30, une BB 63000 venait se mettre en tête du convoi italien. A peine l’attelage et l’essai de frein effectués, le signal basculait au vert pour l’évacuation du convoi vers le garage des TGV, peu après la sortie de gare. Puis, c’était au tour des 3 rames autonomes de se diriger vers ce plateau. En moins d’un quart d’heure, Lille-Flandres pouvait se consacrer au trafic TER.
La Ministre des Transports espagnols, accompagnée de tous les officiels de leur délégation, avait souhaité voyager à bord de l’AVE de Paris à Lille en empruntant la LGV pour arriver en grandes pompes à Eurailspeed. François Lacôte, alors Directeur du Matériel et ancien Chef de projet TGV A, avait mal digéré que la RENFE choisisse la signalisation et la caténaire allemandes pour la LGV Madrid-Séville. Il a donc autorisé ce voyage à la condition sine qua non que l’AVE soit équipé de la TVM 430 et de pantos GPU réglés à la française. Ce fut fait par le SAV Alsthom aux Ateliers TGV du Landy.

En cours d’exposition, nous apprenons qu’un mouvement social est prévu au cours de la semaine. La délégation espagnole en ayant eu vent, leur Directeur du Matériel s’est approché de moi pour me faire part de sa requête : « nous devons absolument être à Irun samedi soir comme prévu car nous avons mobilisé la Guardia Civil pour protéger l’AVE contre tout attentat de l’ETA ». Je lui ai répondu : « je vais voir ce que je peux faire ».

*(L’AVE, à écartement UIC, devait être acheminé à 30 km/h sur des petits chariots assurant l’interface avec la voie large entre Irun et Madrid. Je me souviens d’un bon mot de ce Directeur qui, lorsque je lui parlais de « voie normale », m’avait dit : « vous voulez dire voie UIC, car pour nous la voie normale, c’est la voie large » !).

Grâce à un téléphone de service intérieur flanqué contre un poteau caténaire de la gare de Lille-Flandres et à proximité des fientes de pigeons, j’ai pu rameuter toutes mes relations professionnelles et monter le plan suivant :
- circulation autonome de l’AVE de Lille à Paris-Nord à l’issue de la manifestation.
- mise en véhicule de l’AVE et remorquage de la rame par un TGV R jusqu’à Bobigny.
- impasse des deux rames et en route pour Hendaye, la traction étant assurée par le TGV R de bout en bout.
Dès le lendemain, je recevais tous les avis trains par fax ! Je tiens à remercier tous les services qui se sont impliqués dans cette aventure en un temps record, que ce soient les horairistes, le personnel de conduite (3 agents plus un cadre traction pour se relayer à bord) et les établissements du Matériel qui ont disponibilisé une rame TGV R, alors que le service commercial était tendu. Arrivés en milieu de matinée, le tandem TGV/AVE a été immobilisé suite à de violents orages qui avaient inondé la voie dans le pays basque. Dernière prouesse : l’AVE a finalement été livré à l’heure et les dévoués conducteurs ont remonté le TGV sur Paris, dans la foulée, afin de le rendre au plus vite au service commercial ! J’imagine bien ça aujourd’hui….


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