un métier: cheminot

Les photographies, les récits, tout ce qui concerne le chemin de fer ancien.

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
24 Aoû 2014, 19:43

La troisième présentation de TGV fut celle d’Eurailspeed 98 à Berlin. Pour cette grande expo, nous avions acheminé le TGV Duplex 229 et le démonstrateur TGV P01, tous deux attelés par leurs attelages automatiques et encadrés de wagons-raccords. Là, tout baigne d’une part, parce que la DBAG est l’organisatrice de la manifestation (à mon avis le chipotage aurait eu mauvaise presse) et d’autre part que j’avais remplacé les wagons-raccords à essieux par des modèles à bogies, eux qui ne risquent pas de dérailler, même à vide, avec leurs bogies européens Y25. A noter que le dispositif de pendulation du P01 était inhibé et ne présentait donc aucun risque vis-à-vis du gabarit.

La BB 67444 était surtout là pour être la nourrice du TGV P01. Pour l’alimentation de Duplex, les techniciens avaient imaginé de piquer du 1500 V cc sur la ligne de train de la rame PBKA qui stationnait sur la voie contigüe du Duplex. Sauf que, à chaque fois que le disjoncteur du PBKA était ouvert, le Duplex se retrouvait « dans le noir » avec toute une procédure pour le réarmer. A l’issue de la première journée d’exposition, les conducteurs français présents en cabine m’avaient fait part du problème et de la gêne occasionnée, surtout quand les coupures se produisaient inopinément pendant une démonstration à un public attentif. Le lendemain matin, je suis allé trouver le conducteur allemand, qui assurait les présentations et démonstrations en cabine, de mettre fin aux nombreuses disjonctions. Il m’a très bien compris puisqu’il se nommait « Daniel Gobin ».

Mais comme il faut toujours un petit fait marquant qui vienne apporter sa dose d’originalité, ce coup-ci est venu des italiens. Andréa, un peu mon homologue aux FS (que j’avais connu à Lille 95 et à Vérone pour une expo d’un TGV R tri), vint me trouver pour de l’aide : les FS avaient bien prévu les locomotives nourrices pour leurs ETR, le câble de chauffage train pour relier le tout sauf que les extrémités n’étaient pas préparées ! J’ai donc appelé José, qui passait dans le coin avec sa sacoche à outils en bandoulière. Il a tout posé par terre, est allé au fourgon et est revenu avec une BCE (boite de connexion à contacts élastiques : c’est le boitier qui se trouve sous les traverses de tête et dont émerge le câblot de chauffage) et un câblot avec prise UIC. Il a épissuré les câbles, revissé le couvercle, remis les outils en place et s’en est allé. Alors Andréa m’a dit : « il ne fait pas un essai ». Alors d’un air détaché je lui ai répondu : « quand José fait, c’est bon du premier coup » ! Une demi-heure après, la lumière fut dans les ETR. Pour nous remercier, le lendemain soir nous étions conviés à bord du restaurant de l’ETR 500 pour déguster des pastas cuisinées de quatre recettes différentes. Juste après l’épisode italien, ce fut au tour des anglais dont le demi-Eurostar qu’ils présentaient avait à peine 1 volt à la batterie. Leur rame était alimentée via une CC allemande et un CVS adéquat. Mais avec une batterie à plat, rien ne se passe ! Alors, nous las avons connecté à la batterie du Duplex avec nos câbles de retour de courant.

A l’issue de la manifestation, chaque délégation remballe ses effets. Les italiens nous ont rapporté notre BCE et le câble de connexion. Par contre, à force de m’impatienter, j’ai fini par aller à la rame Eurostar en demandant aux rosbifs de rapporter dare-dare nos câbles au pied du fourgon : je n’ai pas poussé le bouchon à les leur demander enroulés ! Décidemment, j’ai toujours eu plus de chance avec les latins qu’avec les anglo-saxons….










Le soir, après la fermeture de l’expo, nous allions prendre une bière dans un étrange estaminet. Le long du trottoir, il y avait deux Trabant et un sidecar qui semblaient ne pas souvent bouger. Les fenêtres ruisselaient de condensation à l’intérieur. En poussant la porte, on tombait en face du comptoir derrière lequel officiait un tatoué accastillé de quincaillerie plantée dans la peau. Derrière lui, il y avait une étagère sur laquelle trônaient les statuettes (environ 50 cm de haut) de trois grandes célébrités : Adolph Hitler, Benito Mussolini et Joseph Staline ! Ceci dit, les bières commandées nous ont toujours été servies avec courtoisie et nous les avons dégustées en toute quiétude…

2B.
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar Pierre bis
25 Aoû 2014, 15:17

Undertaker a écrit:
Le soir, après la fermeture de l’expo, nous allions prendre une bière dans un étrange estaminet.

2B.


Si je n'ai pas eu ton parcours professionnel, j'ai par contre bien connu tout un tas d'endroit de ce genre à Berlin, et c'était déjà vrai avant la chute du mur. Même si j'ai appris à me méfier du second degré, à Berlin il ne fallait vraiment pas prendre le fétichisme à apparence politique au pied de la lettre.

Dans les années 90, surtout la première moitiée, il y a eu une explosion des "bistros temporaires", le plus souvent dans des lieux temporairement abandonnés en attendant la "normalisation". c'était vraiment une période très intéressante à vivre.
Une brute qui tourne en rond ne va pas plus loin que deux intellectuels assis (Michel Audiard revisité)
Avatar de l’utilisateur
Pierre bis
Bavard
 
Messages: 2443
Enregistré le: 05 Oct 2010, 15:23

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
26 Aoû 2014, 07:58

Bonjour,

Si mes récits antérieurs correspondent à peu près à un ordre chronologique, je quitte momentanément l’année 1998 pour revenir au voyage en Pologne de juin 1995. Les PKP avaient demandé à la SNCF la participation d’une rame TGV pour les festivités de leur 150ème anniversaire : c’est le TGV R tricourant 4522 qui a été détaché pour l’occasion. Comme d’habitude, j’avais rencontré un représentant polonais à Paris pour une réunion préparatoire à l’événement. Tout semblait bien calé, sauf que nos amis polonais n’avaient pas tout dit…

Pour ce voyage, pas besoin de locomotive diesel puisque le TGV s’accommode du 3 kV cc polonais. Nous sommes donc partis avec nos trois voitures intendance et motrices nez-à-nez, une configuration maintenant on ne peut plus routinière. Lors de la préparation de l’expédition de la rame aux ateliers TGV du Landy, j’avais appris que chez les électriciens il y a des « bouchons » que l’on place en extrémité des lignes de train dans l’intercirculation entre motrices et remorques extrêmes. Ainsi, les bouchons leurrent la continuité du réseau informatique de la rame et permettent l’autonomie de la motrice seule. Je me suis dit : « emmenons les bouchons », ça nous évitera de manœuvrer la motrice avec les attelages de secours montés sur une machine polonaise…

Arrivés au petit matin à Francfort-sur-Oder, nous avons été réveillés par des tambourinements contre notre B10c10ux. J’ai enfilé vite fait quelques fringues et suis descendu sur le quai pour aller aux nouvelles. C’était le visiteur du matériel de la DB (toujours en vêtements DR) qui, après le salut matinal, a commencé par des « nicht gut ». J’ai compris qu’il ne comprenait pas la numérotation des véhicules du TGV « nicht UIC ». Alors, je lui ai expliqué que c’était un « convoi indéformable UIC » comprenant un véhicule UIC à chaque extrémité : visiblement, convaincu. Puis, il s’était intéressé à notre Vru : manque de bol, la date de révision était périmée depuis le mois de Mars ! Alors, j’ai appelé José à la rescousse avec un stylo à peinture et lui ai demandé de transformer le « 3 » en « 8 », artifice prolongeant en un clin d’œil la date de péremption jusqu’en Aout ! Je me suis retourné vers le gars et lui ai dit : « gut » ?, à quoi il a répondu : « ja ». On lui a payé un café ; la visite étant bonne, on pouvait poursuivre notre périple en Pologne, jusqu’à Varsovie. Puis est arrivé l’ingénieur polonais, celui que j’avais rencontré à Paris et qui était venu nous cueillir à la frontière pour nous servir d’accompagnateur ; nous communiquions facilement en anglais. Mes collègues l’avaient surnommé Tintin, c’est vrai qu’il y avait un peu de ça, mais en plus âgé. Tour à tour, tous mes collègues se sont présentés dans la salle à manger de la Vru pour le petit déjeuner. Soudain, j’ai vu embarquer cinq types en uniforme verdâtre, bottés et casquettés dans le pur style « Vopo » et deux autres en civil (j’ai supposé flics et douaniers) ! Les mecs m’ont carrément demandé la carte grise et l’assurance du TGV. Notre accompagnateur polonais -Tintin-, le nez vers ses chaussures, visiblement gêné, n’a pas moufté pour autant, comme quoi l’uniforme a du poids ! Pendant les palabres, les deux « civils » ont effectué une fouille en règle de nos voitures et compartiments couchettes. Finalement, je suis resté zen et ai demandé à José d’aller chercher dans nos réserves une bouteille de whisky et une de Coca. Une fois les niveaux des deux bouteilles ramenés à zéro, les sourires s’étaient affichés sur les visages. La marche du convoi a pu reprendre, jusqu’à la première gare en territoire polonais. Nos nouveaux amis nous ont rapidement quittés durant ce court arrêt en gare : c’est con, nous n’avions pas échangé nos adresses ! On a juste eu à rincer les verres, il était 08h00 du matin…

Arrivés à Varsovie, la rame a été garée dans un chantier de lavage de voitures situé à environ 6 ou 7 km de la gare centrale (un peu l’équivalent de Villeneuve-Prairie de chez nous). Là, on nous a conduits à la cantine du chemin de fer où une table avait été préparée pour nous et notre accompagnateur. Devant chaque assiette, il y avait une flute remplie d’un liquide rosé : à sa couleur, nous avons pensé à un Kir de bienvenue. Sur un geste de Tintin, nous nous sommes assis et avons trinqué. Bah !!!, c’était du jus de rhubarbe tiède, néanmoins excellent breuvage pour accompagner une escalope panée garnie de concombres bouillis. Puis, ce n’est pas tout, il a fallu retourner au boulot, écarter les voitures sur une voie à part et recomposer le TGV.





Je pensais que la rame serait en exposition, en permanence à poste fixe ou presque. C’est là que nos amis polonais n’avaient pas tout dit…En fait, au moins un jour sur deux, la rame roulait avec du monde à bord. Et du monde, il y en avait plein : tous avec des billets payants et vérifiés par des contrôleurs. Les jours non « commerciaux » étaient occupés soit par des présentations en gare à poste fixe, soit par des circulations conjointement à des trains vapeur pour les festivités, avec également des voyageurs à bord. Et comme on l’a vu aux Pays-Bas pour la tournée promotionnelle du TGV 325, au bout de trois jours, les bacs de rétention des WC ont atteint leur niveau maximal de remplissage. Sauf que là, je n’avais pas prévu de faire venir une PM. Alors, on a sollicité nos collègues polonais pour chercher ensemble une solution. Grace à Zbigniew qui a vite compris et bien traduit notre requête, un chef d’équipe du chantier de lavage, sur lequel nous stationnions tous les soirs, est venu avec une pompe à bras, « modèle en vogue dans les années 30 ». La première tentative n’a pas vraiment été satisfaisante attendu que le tuyau d’aspiration ne devait pas excéder 40 mm de Ø et pour un orifice de 80 mm, ça ne le fait pas. Alors le gars est parti dans sa Lada et est revenu avec un tube souple plus gros et grâce à quelques chiffons, l’étanchéité même imparfaite a tout de même permis à la pompe de s’amorcer et à opérer la vidange. Une fois la démonstration faite sur 3 ou 4 WC, les polonais avaient bien compris comment traiter l’enchainement des opérations depuis la vidange, puis la précharge en eau claire et enfin l’addition de produit antibactérien. Nous n’avions plus qu’à les regarder faire et leur préparer l’apéro à bord de la Vru. Pour la deuxième opération de vidange, nous les avons tout bonnement laissé faire sans assistance.






A suivre.
2B.
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
26 Aoû 2014, 09:21

Dans le cadre des 150 ans des PKP, le TGV a assuré une marche à 80 km/h dans les environs de Varsovie, là où le réseau est suffisamment dense pour permettre des circulations cote à cote sur des voies parallèles. Au terme d’une trentaine de km, nous avons stoppé dans une gare où la machine du train à vapeur à fait l’impasse pour que nous rebroussions le chemin. Inutile de dire que cinéastes et photographes étaient postés partout le long du parcours. De retour à Varsovie, la rame a été garée, ouverte à la visite et nous avons pu en profiter pour visiter les matériels historiques exposés.










A suivre.
2B.
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
27 Aoû 2014, 10:03

Bonjour,

Les voyages que nous avons faits avaient toujours pour origine la ville de Varsovie. Nous sommes allés à Cracovie avec des haltes dans les villes les plus importantes du parcours afin que les populations puissent venir voir et monter à bord du TGV. Je n’ai pas de photos de Cracovie car j’étais allé faire un peu de tourisme dans la ville, pas bien longtemps car nous n’y sommes restés que deux heures. Au cours du voyage suivant, il était prévu que nous allions jusqu’à Brest, en Biélorussie. Notre première étape fut dans la ville de Siedlce où nous avions marqué l’arrêt quelques deux heures durant pour les festivités organisées sur le quai et pour la visite de la rame.





Puis, nous avons continué notre route en direction de Brest. Arrivés à la gare frontière de Terespol, le chef de gare nous a informés que c’était la fin du voyage, las autorités Biélorusses ayant émis un veto pour entrer sur leur territoire. Il a demandé à Zbigniew de nous informer que dans son bureau il y avait du café et de la vodka. Nous n’avons pas refusé une première invitation, puis certains d’entre nous en avons profité pour faire un tour en ville.






Nous prenions nos déjeuners à bord du TGV quand il roulait ou (rarement) à la Vru s’il n’y avait pas de marche prévue. Par contre, tous les soirs, nous dinions au centre de Varsovie, sur la grande place, non loin des remparts immortalisés par une chanson de Jacques Brel. On nous avait indiqué un resto, le plus chicos et comme étant la meilleure table de la ville. Nous nous sommes pointés à dix en jeans/teeshirt : bien que nous fussions beaux et propres comme des sous neufs, nous avons été refoulés. Qu’à cela ne tienne, nous sommes entrés dans la gargote attenante. C’était aussi bcbg, et nous avons somme toute bien mangé. Quand est arrivée la note, il y en avait pour 2 700 000 zlotys. N’ayant que des billets de 100 000 zlotys changés le jour-même, nous avons –grands seigneurs- laissé chacun 300 000 (grosso modo 200 FF), soit un pourliche d’également 300 000 zlotys !
Ça a du se savoir entre serveurs car, le lendemain, celui qui nous avait refoulés nous déroulait le tapis rouge. Surement en bon commerçant et fin connaisseur de sa clientèle huppée, il nous a installés dans une pièce à l’écart de la salle. C’est clair, c’était la meilleure table de Varsovie. Le séjour tirant à sa fin, nous avions informé le taulier de notre futur retour en France et pour notre dernier diner, il nous a carrément installés dans la cave voutée parmi ses meilleurs crus. Pour ce dernier repas en commun, nous avions invité Zbigniew. Quand il a vu les deux tournées de caviar, les mets les plus fins commandés, le pauvre a failli tomber en syncope au point de ne commander que des patates pour limiter la casse. Son sourire est à peu près revenu quand on lui a redit qu’il était notre invité ! Bon, il y en a eu pour 600 000 par tête, le salaire mensuel de notre cher Zbigniew…

Le dernier jour, nous avons quitté Varsovie pour rejoindre Poznan en passant par Lodz et Wroclaw. Il y avait tellement de visiteurs que nous partions parfois avec une heure de retard sur l’horaire prévu. De fil en aiguille, nous sonnes arrivés à Poznan à l’heure de fermeture de la visite. Nous étions attendus par les dirigeants des PKP pour prendre ensemble un diner dans une sorte de centre d’apprentissage du chemin de fer et y rester coucher. Alors, les agents de sécurité m’ont dit : « on n’ouvre pas les portes, visite supprimée » ! « Vous n’y pensez pas ! Tous ces gens qui sont venus nous voir, imaginez leur déception ». Finalement, nous avons ouvert et lâché la rame en pâture ! Quand tout le monde a quitté la visite, j’ai encore du expliquer à mes interlocuteurs que les dirigeants devraient encore patienter une demi-heure supplémentaire, le temps de remettre la rame en configuration acheminement. Finalement, en se répartissant les tâches, nous avons remis les motrices nez-à nez, réglé les panneaux de frein en demi-pression, attelé les voitures et vérifié la continuité du frein, le tout en à peine 30 minutes ! Puis à bord d’un minibus, nous avons été conduits au lieu de réception.
Après quelques discours, les leurs et le mien, nous sommes passés aux choses sérieuses ! Notre interprète polonais nous a dit : « devant vous, il a un litre de vodka et un litre de bière : choisissez ce que vous allez boire, mais ne mélangez pas » ! Je vous passe les détails, mais nous nous sommes couchés à 04h00 du matin, réveil à 07h00 et à 08h30 le convoi s’ébranlait en direction de l’Allemagne, puis de la France. Je ne me suis jamais autant auto-congratulé d’avoir pris la décision de préparer le convoi la veille.



2B.
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
27 Aoû 2014, 11:52

En guise de fin de cet épisode polonais, voici une chemise cartonnée et la lettre qu’elle contient.



2B
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar sncb_nmbs
27 Aoû 2014, 12:16

Undertaker a écrit:En guise de fin de cet épisode polonais, voici une chemise cartonnée et la lettre qu’elle contient.

img380.jpg

img381.jpg

2B


:cool: :cool: :cool: :applause: :applause: :applause: :coeur1:
"Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir"
Avatar de l’utilisateur
sncb_nmbs
Bavard
 
Messages: 8476
Enregistré le: 25 Déc 2013, 11:29
Localisation: Carolo expatrié en hexagonage

Re: un métier: cheminot

Messagepar bnicolas1987
27 Aoû 2014, 18:46

SPLENDIDE!!!!!!!

Merci pour ces récits haut en couleurs!!! (je ne sais que dire de plus)

A+
Japan Railways en H0
Avatar de l’utilisateur
bnicolas1987
Bavard
 
Messages: 2086
Âge: 36
Enregistré le: 17 Déc 2007, 09:26
Localisation: Montreux, Suisse

Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
28 Aoû 2014, 08:41

Bonjour,

Revenons-en 1998, après Eurailspeed Berlin du mois d’octobre. Comme nous l’avons vu, la SNCF a entamé une mutation interne et notamment celle de ses services techniques. En l’occurrence, la Dir. Du Matériel à laquelle j’appartenais désormais, a mis à l’étude la possibilité de se scinder en deux entités avec, d’une part des Départements Matériels qui seraient les pôles d’appui aux Directions des Activités commerciales et, d’autre part un centre d’ingénierie réunissant les experts techniques. Finalement, suite à de longues réflexions (plusieurs mois, voire années) avec les dirigeants d’unités, les partenaires sociaux i tutti quanti, c’est ce schéma qui sera adopté avec une délocalisation du Centre d’Ingénierie du Matériel (CIM) au Mans et le maintien des Départements Matériels au 15 rue Traversière à Paris. Sans compter que le transfert était prévu de se faire par étapes, ne serait-ce que d’attendre que le futur bâtiment soit sorti de terre.

J’avais un collègue, Bernard Roure, qui devait rejoindre une cellule d’experts dont la spécialité était la résistance des structures et la sécurité passive. Il a donc libéré un poste, lequel me sera attribué sous l’appellation « responsable de lot caisse locomotives ». J’ai récupéré ses activités liées essentiellement aux structures des BB 36000 et quelques derniers dossiers concernant les BB 26000. Et puis, il y avait une autre locomotive, dont l’appel d’offres avait été lancé, le constructeur retenu, et pour laquelle il allait falloir suivre l’étude et vérifier le respect du cahier des charges fonctionnel (cdcf) : la BB 27000. C’était aussi l’époque où le parc de locomotives fut réparti dans les activités avec un indice précédant leur numérotation d’origine. Ce seront donc des 427000, numérotation à laquelle je n’ai jamais pu me faire !

Un jour, j’ai reçu une information concernant les soudures des appuis des suspensions secondaires des BB 26000, les fameux blocs sandwich. Lors d’un levage, un agent de maintenance du dépôt de Villeneuve avait repéré des fissures à l’intérieur des longerons de caisse atteignant par endroits plus de 300 mm de long. Les tôles de caisse des BB 26000 ont été assemblées par soudures d’angle, non pénétrantes, c’est-à-dire sans chanfreins et sans talon. Nous avons alerté le constructeur sur ce non respect des règles de l’art auxquelles un Industriel est censé adhérer tacitement : réponse « les plans ont été acceptés dans l’état » ! C’est sur que ça tisse des liens… En conséquence, la SNCF s’est goinfrée la reprise des soudures des châssis des 234 locomotives (moins une ou deux radiées). L’opération se déroulait sur 5 jours ouvrables à Oullins-Machines et conjointement à cette opération, il y a eu le renforcement de la batterie d’accumulateurs.

Lors d’une marche d’essais, le conducteur attitré de la BB 36001 me dit : « j’entends comme de l’eau qui se balade en toiture, au-dessus des vitres de cabine, coté droit » (à la fin d’un freinage, il y a toujours une légère secousse). Ayant le même doute que lui, j’ai fait venir le responsable caisse de Belfort. Il a percé le montant supérieur de la cabine et en a retiré trois seaux d’eau ! 30 litres de flotte dans un corps creux d’une contenance de l’ordre de 110 litres. Alors, il a percé plus gros, taraudé, installé un raccord et il a mis sous pression d’air. Nous avons repéré en toiture la fuite d’air due à l’absence de soudure de la taille d’une lentille ! Quand il pleut, ce sont des dizaines de litres d’eau qui courent sur la toiture et l’eau ça s’infiltre par le plus petit interstice. La réparation s’est faite avec le produit miracle de l’époque : le tube de silicone…

La BB 36021 fut victime d’une prise en écharpe. Elle a été dirigée vers Oullins-Machines pour réparation. À cette époque, les locomotives étaient toujours en cours de construction et la SNCF ne possédait pas encore les dessins du constructeur. Alors, le chef d’atelier caisse m’a dit au téléphone : « je n’ai pas le temps d’attendre, je taille dedans ». La machine ayant été mise sur chandelles, ce sont environ 5 mètres de brancard de caisse qu’il a fallu remplacer, recouper les diagonales de caisse et les prolonger par de nouveaux éléments, puis refaire le tôlage de face. Le lendemain, nouveau coup de téléphone m’alertant que le CHSCT avait protesté, car lors de l’opération de disquage, d’épaisses fumées s’étaient dégagées. Le lendemain matin, j’ai débarqué à Oullins où j’ai pu voir (et photographier) tous les morceaux de châssis et de tôles de face entièrement corrodés de l’intérieur. J’ai ramassé un morceau de la taille d’une boite d’allumettes familiale : c’était de la peinture séchée dans le fond du brancard et c’est elle qui avait dégagé les fumées toxiques en chauffant. À la réunion plénière suivante, j’ai tout posé devant le Chef de projet du constructeur en jouant à la devinette : « à votre avis, c’est quoi » ? Par conséquent, la SNCF a percé tous les brancards des BB 36000 pour les passer à l’endoscope. (En fait, on prévoit des trous dans les corps creux et on y insère une canne qui vaporise de la peinture. Le préposé doit orienter la canne afin d’atteindre toutes les surfaces, au lieu de poser la canne et d’aller en griller une pendant ce temps-là). Tant qu’à faire, on a percé des trous de 20 mm dans la semelle inférieure des brancards de châssis des BB 36000, dans l’intention de les ventiler et d’en stopper la corrosion, à défaut de peinture correctement appliquée. À la fin de l’opération, la BB 36021 étant encore sous garantie, deux experts de Belfort sont venus à Oullins pour une visite contradictoire : l’un d’eux m’a dit : « vous les réparez mieux qu’on ne les construit ».




Pour les circulations dans le tunnel de la relation Lyon-Turin, les BB 36000 ont reçu un dispositif de détection incendie et certaines un dispositif plus complet de détection/extinction incendie. L’étude et la réalisation avait été confiée à Alstom. Pour cela, une BB 36000 rejoignait le site de Belfort pour installation du dispositif, l’opération durant une semaine ouvrable. Ce fut au tour de la BB 36023. L’opération ayant été finie un peu plus tôt que prévu, un agent d’essai s’est mis à faire des allers et retours sur la voie électrifiée de l’usine pour tester une nouvelle version du logiciel (nous en étions à la version V24.3 !!!, pauvres 36000). Attendu que cette voie est strictement réservée à un usage interne, l’agent ne quitte pas sa cabine et se contente d’inverser le sens de la marche pour les circulations. Sauf que ce jour-là, un vendredi soir, un train de 3 wagons chargés de rouleaux de tôle est entré dans l’usine. L’aiguille n’ayant pas été tournée après le passage des wagons, la 36023 s’est pris la voie déviée à un bon 50 km/h et le temps de taper l’urgence, elle s’est tout de même emplafonnée sur les wagons à 35 km/h.
Le lundi matin, les responsables d’Alstom ont bien été obligés d’en informer la SNCF, en prétendant toutefois que les répercussions n’étaient pas vraiment graves. Alors, le chef d’atelier caisse d’Oullins, son adjoint et moi sommes allés à Belfort pour inspecter la locomotive accidentée. Au bout d’une heure d’inspection de la machine, dessous, dedans et dessus, le verdict du chef d’atelier et de son adjoint est sans appel : la caisse est morte ! Il s’est avéré plus tard qu’elle était en tonneau, plus courte de 12 mm et plus large de 8. Sans conter tous les blocs moteurs dont les connexions avaient été arrachées, les tympans et traverses de pavillon enfoncés par leur basculement, etc.…
Puis nous sommes allés en salle de réunion pour une confrontation client/fournisseur en présence de l’assureur d’Alstom. Après les échanges de points de vue des deux parties, l’assureur a déclaré : « hé bien messieurs, je constate que vous estimez le même devis d’environ 1500 heures de réparations, on n’oublie rien ? Alors j’ai pris la parole : « tant que la locomotive est indisponible, il faut ajouter une pénalité pour un manque à gagner de l’ordre de 8 kF/jour ». Ce n’est qu’au bout de trois mois qu’Alstom s’est décidé à construire un nouveau chaudron (la 61ème BB 36000) et de l’équiper avec les appareillages réparés de la 36023.
De retour dans le train, le chef d’atelier d’Oullins me dit : « ce serait bien de récupérer la caisse accidentée, je pourrais m’en servir pour mon école d’apprentis chaudronniers ». J’ai contacté le chef de projet d’Alstom qui m’a dit : « pas de problème, je prends même en charge la livraison, ça me coutera moins que de la ferrailler ». Et c’est ainsi que la caisse nue de la BB 36023 s’est retrouvée à Oullins. Quelques deux années plus tard, c’est au tour de la BB 36050 de prendre un mauvais coup. Les chaudronniers de la SNCF sont de bons professionnels et ne reculent devant rien ! Ils ont coupé les deux caisses et les ont raboutées. Un coup de peinture et la 36050 est repartie vers d’autre aventures… J’avais dit au responsable de projet SNCF des locomotives : « sur un engin ferroviaire, il n’y a qu’une pièce qui est unique : c’est la caisse »







A titre anecdotique, la BB 36024 avait reçu des tampons fusibles. Afin d’inclure la cartouche d’absorption d’énergie, il fallait trépaner la traverse de tête au niveau de la surface d’appui des tampons classiques. Une société de Lyon avait mis au point aune machine-outil originale : son bâti se fixait aux trous de boulonnage des tampons puis un outil de découpe décrivait une rotation, tout en pénétrant la tôle. Un aimant venait de placer sur le disque en fin de découpe afin d’éviter sa chute pouvant occasionner la casse de l’outil en débouchant. Cet essai n’a pas été suivi d’une application en série. D’ailleurs, cette disposition aurait pu également s’appliquer aux BB 26000, par similitude de leurs traverses de tête.

La BB 36000 est une locomotive qui n’a pas été demandée par la SNCF. C’est son constructeur, Alstom, qui en a proposé la production car ce dernier souhaitait avoir à son catalogue une locomotive à chaine de traction asynchrone, contrairement aux BB 26000 à moteurs synchrones. Dans ce contexte, la SNCF a accepté que la commande des 30 dernières BB 26000 bicourant soit transformée, par amendement au contrat, en 30 BB 36000 tritension. Par la suite, par un avenant au contrat, 30 nouvelles BB 36000 ont été commandées. Cette machine tritension est encore à ce jour unique au monde puisqu’elle développe la même puissance quelle que soit sa tension d’alimentation. Grâce à son équipement en 3 kV cc, la BB 36000 peut aussi circuler en Belgique et en Italie.
Pour son homologation en Belgique, je m’étais rendu à la Direction du matériel de la SNCB, face à la gare de Bruxelles-Midi, dans le bureau d’un certain Triphon Menehoult. À ce rendez-vous, j’avais emmené tous les rapports d’essais d’homologation de la partie caisse BB 36000 chez nous. Après l’analyse de chacun des rapports, la seule remarque qu’il ait faite a concerné la signalétique intérieure de la cabine pour laquelle nous avons ajouté les logos des issues de secours et l’indication de la présence de courant électrique suivant la fiche UIC. Nous en avons également profité pour compléter les marquages extérieurs suivant la fiche UIC correspondante (ce qui n’était pas une coutume à la SNCF) et les avons également appliquées aux BB 27000/37000 de construction. Pour ces deux derniers points, un dessin des peintures et inscriptions et des photos de la machine prototype ont suffi pour clore le dossier d’homologation à la SNCB.
Par contre, pour l’homologation en Italie, ce fut nettement plus folklorique. Je m’étais rendu trois fois à Modane pour rencontrer des italiens chargés de l’homologation des BB 36000. Outre le fait qu’il ait fallu ajouter un deuxième siège en cabine - les italiens conduisant à deux agents - et pas un simple strapontin : non, un siège à confort équivalent à celui du conducteur. Il a fallu vérifier l’épure de visibilité, que l’on fait normalement avec des tracés, mais qui pour l’occasion s’est réalisée avec un mec qui a fait dix pas en avant, puis 3 sur le coté depuis l’axe de la voie et a posé son attaché-case au sol : cette gesticulation était censée vérifier la visibilité des signaux bas par le conducteur assis. Bref, j’ai plusieurs fois entendu le mot « malletta », j’en ai déduit que la cabine était conforme sur ce point. Je vous passe la liste des agrès italiens, les inscriptions en italien qu’il a fallu ajouter dedans et dehors (qui ne répondent d’ailleurs à aucune exigence UIC) i tutti quanti. Au bout de la troisième rencontre à Modane, de retour à Paris, je suis allé voir le Chef de projet BB 36000 et lui ai dit : « je ne remettrai plus les pieds à Modane pour toutes ces conneries. Attendons que nous homologuions la E-402 B, et tu verras, celle de la 36000 suivra dans la foulée » ! Ainsi fut fait.


2B.
Undertaker
Bavard
 

Re: un métier: cheminot

Messagepar Pierre bis
28 Aoû 2014, 09:55

Ces 36000 étaient de bien jolies machines! Les plus belles machines SNCF à mon goût depuis les MTE. (je sais que je vais provoquer les hurlements des afficionados des 6500)
Une brute qui tourne en rond ne va pas plus loin que deux intellectuels assis (Michel Audiard revisité)
Avatar de l’utilisateur
Pierre bis
Bavard
 
Messages: 2443
Enregistré le: 05 Oct 2010, 15:23

PrécédenteSuivante

Retourner vers Histoire ferroviaire

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 10 invités