Bonjour,
Au mois de novembre 2004, nous avions assisté à une réunion préparatoire à la Dir. Co pour fêter les 50 ans du record de 1955, à 331 km/h dans les Landes. Chaque participant y était allé de son couplet sur ce qu’il fallait faire, quoi présenter etc.…Alors nous avions convenu d’exposer :
- la BB 9004 (à sortir du musée) dans l’état, mais qui avait reçu une nécessaire remise à niveau aux ateliers d’Épernay après son passage à Train Capitale.
- la CC 7107 qui devait passer un petit séjour aux ateliers de Béziers pour y subir une révision approfondie et une remise en peinture.
- une DEV AO à jupes longues (la seule disponible étant une A2½B6) ayant aussi transité par Béziers pour y être également repeinte (n’importe comment).
- une motrice TGV PSE commémorant le record à 380 km/h.
- une motrice TGV A commémorant le record à 515,3 km/h.
- et puis la CC 7102, la CC 7106, la CC 7002….
Si l’organisation d’un tel événement ne me passionnait pas outre mesure, de plus ce n’était pas mon job mais celui de la Dir. Co, je me suis quand même permis de dire : « tout ça ressemble à un rassemblement de CC 7100 cette affaire. Puisqu’il y a aussi du TGV, ne trouvez-vous pas qu’il manque une CC 6500 qui incarne le lien technique et commercial entre le record de 1955 et le TGV » ? Ma remarque fit marquer un temps d’arrêt, puis l’organisateur de la Dir. Co m’a dit : « OK, mais tu t’en dém….brouilles » ! Pas de problème ! De plus, je peux bien l’avouer maintenant, moi qui rêvais de sauvegarder une CC 6500, voilà que j’en avais indirectement le feu vert par ce biais. Tant qu’à faire, avec mon collègue du Matériel, nous sommes repartis avec une autre mission : celle de retrouver des témoins et mieux encore, des participants à l’événement en 1955.
Pour la CC 6500, j’avais pris contact avec le dépôt de Vénissieux en expliquant à mon interlocuteur le contexte de ma démarche et l’objet de ma recherche : « pour fêter les 50 ans du record des Landes, nous allons retaper une CC 6500 pour l’exposer ; j’en voudrais une, si possible, comprise entre les n°11 et 31, une vraie, une à 200 de la première heure » ! Trois, jours plus tard, il me rappelait pour m’informer qu’il avait une machine à me proposer. Dès le lendemain, je débarquais à Vénissieux. Après le café de bienvenue, il m’a dit : « allons voir la machine ». Arrivés au pied de l’engin, il s’était justifié en m’expliquant que la 30 avait la caisse en meilleur état que celle des autres, qu’elle avait un potentiel de l’ordre de 300 000 km et qu’il pourrait anticiper sa radiation de quelques mois (retrait du service plus exactement, car la CC 6530 n’est toujours pas radiée à ce jour) et qu’il en prolongerait une autre en compensation pour le TER RA. Après ces bonnes paroles, je lui ai donné le compte d’imputation qui allait bien en lui demandant d’expédier la machine à Oullins. Après les quatre années passées aux locomotives, j’avais bon nombre de connaissances à Oullins, ce qui a bien aidé pour peaufiner cette 6530. Le DPX (dirigeant de proximité) peinture m’avait dit : « je vais mettre les meilleurs sur l’affaire ». Effectivement, le travail réalisé était proche de la perfection. Je profite de cet épisode autour de la CC 6530 pour informer que le gris métallisé utilisé est le gris 862, celui des TGV et autres livrées fantômes, Corail + etc…En effet, j’avais trouvé une peinture qui me « semblait » proche du souvenir que j’avais du gris métallisé 803, sauf que le type et la qualité de peinture n’étaient pas trop ferroviaires. De plus, le DPX peinture, mon cher Yves Bonin, m’avait dit : « mets donc du 862, s’il y a une retouche à faire on ne la verra pas, alors qu’avec un mélange on ne retrouvera jamais exactement la teinte ». Je me suis rallié à ce jugement prudent. Quant à ce gris métallisé 803, dont malgré toutes nos recherches nous n’avons retrouvé aucun échantillon, si c’était à faire aujourd’hui, il y a un gris 815 de la nouvelle collection NCS de la SNCF qui irait bien. Mais ce n’est plus à faire et, encore moins à l’ordre du jour, à refaire…Toutes les autres teintes respectent bien les couleurs de la carte de 1978. Par contre, suivant les nouveaux us et coutumes, les bogies et les aménagements sous caisse avaient été peints en gris orage 844 non vernissé. Je n’avais rien dit à ce sujet eu égard au superbe travail effectué par ailleurs. Il me semble bien que c’est la CC 6558 qui l’a « descendue » à Béziers avec la BB 9004 pour y rejoindre la CC 7107 et la DEV AO jupes longues.
J’avais aussi un collègue qui voulait absolument lui coller une plaque « Capitole » sur le nez. Je lui ai : « mais non, à Bordeaux, le minimum c’est de lui mettre une plaque Aquitaine » ! Du coup, j’en ai fait faire 3 exemplaires par Alain Pras. Ce que j’allais aussi découvrir, c’est que lorsque l’on a voulu faire évoluer la 6530 à Bordeaux, la machine ne voulait pas fermer le disjoncteur. En entrant dans le guide de dépannage, il s’est avéré qu’il avait fallu isoler un bogie, lequel avait pris un flash à Béziers, ce qui arrive quand trop de monde joue « les mouches du coche ». Pendant ce temps-là, les autres matériels exposés avaient été rassemblés à Villeneuve-Saint-Georges (Dd2s, Club 34, une voiture de mesures, les deux motrices TGV et, me semble-t-il, également Mélusine qui avait été ajoutée au dernier moment, mais ça je n’en suis pas certain). La traction du train avait été assurée par une BB 66000 (la 66008 dédiée Infra) dans un piteux état. Sauf que la rampe de Guillerval a été fatidique à la pétoire. A peine arrivés sur le plateau, le conducteur a demandé le garage et le secours par la même occasion. Une heure plus tard, en pleine nuit, une BB 7200 est arrivée pour nous descendre jusqu’à Bordeaux : il eût été plus simple de commencer par là !
Coté témoins et participants, nous avions effectué des recherches via le fichier des retraités et une liste d’anciens de la DETE. (En général, la caisse des retraités est rétissante pour fournir ce genre d’information privée, mais pour la bonne cause…) Dans cette liste DETE, dans laquelle je figure depuis, je connaissais quelques personnes, dont évidemment André Cossié. Je l’avais contacté, mais il avait gentiment décliné l’offre se trouvant trop âgé pour cette aventure et surtout il voulait rester près de son épouse à la santé précaire. J’avais aussi contacté Jacques Moulin et André Vaterre, que je connaissais aussi pour avoir travaillé dans le même BE au début des années 70 : ces deux-là étaient dans les voitures pour participer au freinage de la rame. D’autres collègues avaient retrouvé la trace d’anciens de Vitry et de Bordeaux qui avaient contribué à la préparation des locomotives et des voitures. Je m’étais chargé de contacter Pierre Barrière, le conducteur de la BB 9004. Il résidait à Marseille : lorsque je l’ai eu au téléphone, lui aussi a commencé par décliner l’invitation : trop vieux, je marche avec des cannes, la gare est loin, etc. Je n’y suis pas allé par quatre chemins : « cher Monsieur, je prends tout en charge, le(s) taxi(s), les réservations dans les trains, le gite et le couvert et vous venez avec Madame » ! Il a fini par dire « oui ». D’ailleurs, il était bien convenu que durant les trois jours des festivités, la SNCF prendrait entièrement en charge les témoins/participants et leurs épouses. À Bordeaux, lorsque j’ai fait la connaissance des époux Barrière, elle m’a dit en me prenant les mains : « Monsieur, je vous remercie : depuis votre coup de téléphone mon mari est tout excité, il a rajeuni d’un coup ; voyez il trotte comme un lapin sans sa canne » ! En tout, nous avions pu rassembler 10 anciens ayant vécu ou contribué à ce record de vitesse en 1955.
La SNCF avait bien fait les choses : conférences animées par Michel Chevalet sous un chapiteau en présence du président Louis Gallois et de bon nombre de Directeurs techniques de la SNCF, voyages entre Bordeaux et Morcenx pour le public avec la CC 7107 et la CC 7102, exposition de matériel et conférence également à Morcenx ; je me souviens d’une « colline » d’huitres d’Arcachon : délicieuses. Il existe un DVD de la conférence, peut-être la vidéo est-elle en ligne ? Roco avait également bien fait les choses : la production des BB 9004 en H0 avait été accélérée afin qu’au moins 10 exemplaires soient livrés d’urgence à Alain Pras pour qu’il les mette sous présentoir et que le président Gallois puisse en offrir une à chaque ancien en mains propres. Avant de quitter l’hôtel, je pensais que la note des repas et nuitées de tous nos papys (c’est ainsi que nous avions surnommés nos témoins historiques) seraient expédiée à la Dir Co, l’organisatrice des cérémonies. Dans les faits, c’est ma CB qui a réglé la note (je me suis tout de même fait rembourser !).
Quelques acteurs des cérémonies vêtus de tee-shirts bleus imprimés pour la cérémonie. Accroupis entre les deux files de rail, à gauche Michel Massinon (conducteur du record à 515,3 km/h) et à droite Michel Boiteau (conducteur du record à 482,4 km/h) : tous deux faisaient partie des nombreux bénévoles venus pour animer les festivités. (photo Christophe Recoura).
La CC 6530 à Oullins en sortie de bichonnage. Elle est presque terminée, il lui manque le blason Cahors. Peut-être n’a-t-elle jamais été aussi soignée, même neuve de construction.
La CC 6530 exposée à Morcenx. Pour la région, la plaque TEE Aquitaine lui va bien mieux que Capitole ! Ses bogies gris orage 844 me chagrinaient un peu. A noter l’épaisseur réduite des jantes des roues lui conférant tout de même un potentiel de 300 000 km.
La CC 7107, la BB 9004 et la DEV AO également exposées à Morcenx.
Pour les besoins médiatiques, la CC 7107 tracte les matériels de l’exposition.
Puis, c’est une BB 7200 qui a assuré la traction du convoi jusqu’à Villeneuve. Ici, la rame est vue dans le « cor de chasse » de Rungis.
Outre le gris orage qui me chagrinait, le bogie moteur HS aussi. Alors, j’avais appelé le responsable production locomotives d’Oullins qui était à deux mois de la retraite. Après lui avoir expliqué mon problème, il m’a dit : « renvoie-moi la machine ». À son tour il me l’a rendue : plutôt que de réparer le moteur, il a levé la bête, l’a reposée sur deux bogies neufs et repeint le tout en gris ardoise 807. Regardez, l’épaisseur des jantes : un million de km de potentiel. À présent, un autre truc me chagrine : c’est qu’elle moisisse à Mohon. Toutes mes tentatives de l’en sortir sont restées vaines ; et je crains qu’elles le resteront encore longtemps...
Alors, je me contente avec celle-ci à l’échelle 0. Mais son sort n’est guère plus enviable : elle aussi moisit, mais dans une vitrine, au sec.
C’est bien connu, avec le temps la mémoire s’érode inexorablement. Alors, tant qu’il est encore temps, je profite de cette tribune pour évoquer deux autres locomotives que la SNCF a bien voulu conserver dans un aspect originel.
- la CC 72084. Cette machine est due à un monsieur, complètement anonyme, qui avait écrit au président de la SNCF, Jacques Fournier. Il lui demandait par ce courrier de bien vouloir conserver une CC 72000 avec ses plaques à marquages en relief et surtout le monogramme frontal à fond rouge et lettres blanches. Il est important de rappeler qu’à cette époque, seule la mode des inscriptions autoadhésives et monogramme entièrement bleu frappait ces machines. Comme je vous l’ai dit dans un message antérieur, à la SNCF un courrier ne se perd pas et finit toujours par arriver au service compétent (y répondre ou non est une autre affaire). Ce monsieur a obtenu une réponse positive ; j’avais contacté le département de la maintenance des locomotives et Quatre-Mares avait désigné la 72084. Pour pérenniser la mesure, j’avais fait appliquer dans chaque cabine une plaquette portant un texte du genre : « cette locomotive dans sa livrée d’origine est inscrite au patrimoine technologique de la SNCF ». Ce qui ne veut pas dire grand-chose et n’a aucune réelle valeur patrimoniale ; il n’empêche que ça fait plus de vingt ans que ça marche…
- la BB 25236. Celle-ci revient en partie à l’initiative d’un certain Alain Miloche, un jeune électricien talentueux à la quête permanente du Graal en matière de mise au point des BB 26000 et plus tard des BB 36000. Au détour d’un couloir du 15 rue Traversière, il me fit remarquer qu’il ne restait plus que deux BB MTE en livrée verte à enjolivures aluminium : une 25100 et une 25200, la 25236 en l’occurrence. Il tenait cette information des ateliers d’Hellemmes, établissement avec lequel il avait coutume de travailler sur les protos passés (20011 et 12, 10003) et les machines en cours de livraison. Il m’avait également glissé dans l’oreille que son père avait conduit la 25236 lorsque celle-ci était affectée à Strasbourg pour les essais de captage en plaine d’Alsace.
À cette époque, la Direction du Matériel était sur deux sites principaux : les départements des matériels neufs près de la gare de Lyon et les départements de la maintenance et d’appui près de la gare St-Lazare où se trouvait également la Direction. De temps à autres, François Lacôte me demandait de l’accompagner en voiture, les 20 minutes du trajet entre les deux gares étant mises à profit pour une petite réunion de travail. Ensuite, je rentrais en métro ou le chauffeur me raccompagnait. Cette affaire de 25236 me trottant dans la tête, j’avais profité d’un moment de répit pour demander au Directeur de m’autoriser à la conserver en livrée d’origine. Je savais que ce ne serait pas simple car il dirigeait les ateliers d’Oullins à l’époque des « déjupages » et autres suppressions d’enjolivures massives ! Après lui avoir exposé le projet, il me répondit tout de go : « je ne suis pas sensible à ce genre d’arguments » ! Alors je lui avais rétorqué : « mais Monsieur, si un jour un cinéaste s’adresse à nous pour tourner une scène ferroviaire des années 60, nous n’aurons rien à proposer ». À quoi il me répondit : « là, j’y suis sensible ». Pas besoin d’en dire plus : le lendemain, dès l’embauche, j’avisais par courrier les ateliers d’Hellemmes et le chef de la maintenance des locomotives de conserver la BB 25236 dans sa livrée verte et d’y apposer en cabine les mêmes plaques que celles de la CC 72084. Les révisions de l’ensemble des BB MTE ayant été transférées à Oullins, l’établissement lyonnais a perpétué la mesure conservatoire.
J’avais aussi en tête que Roco aurait pu en faire une reproduction en H0. À mon grand étonnement, ce n’a pas été fait et ne le sera surement jamais.
De passage à Oullins pour des mises au point sur les BB 36000 « Italie », ça fait toujours un petit plaisir intérieur de voir LA machine MTE sortant de révision, brillante comme un sou neuf.
A+
2B.