POMidi a écrit:
...
Le récit de ton épopée réveille aussi des sentiments plus complexes puisque mâtinés de certains regrets par rapport à une époque et son état d'esprit.
...
Je suis partagé à ce propos. Je constate chaque jours qu'en général la conscience professionnelle existe toujours et je m'en étonne même, tant beaucoup n'ont rien à attendre de bon du monde du travail. Tout simplement, pour la plupart des êtres humains (pas tous), la volonté de bien finir ce qu'on a commencé l'emporte sur le reste. Cela peut donner parfois le pire (exemple: la défense acharnée et inutile de Berlin en avril 1945) mais le plus souvent c'est le meilleur. C'est même à mon avis ce qui fait encore tenir debout ce qu'il reste de notre économie.
Car il ne faut pas oublier que Bernard a eu la chance de pouvoir se consacrer à 100% à son travail sans se demander s'il serait encore là l'année suivante, si ses revenus ne baisseraient pas de 30%, s'il aurait une retraite et si son chômage dans les dix dernières années avant ladite retraite serait ou pas indemnisé. Il a eu la chance de pouvoir étudier les problèmes à fond sans se voir reprocher de "faire plus que ce qui était prévu dans le contrat" ou de "passer trop de temps". Un de ses derniers post montre pourtant que, juste après sa retraite, il a goûté comme consultant à la désinvolture avec laquelle on traite les acteurs du monde du travail au gré des caprices budgétaires, voire des caprices tout court.
Vous allez me dire que la SNCF, espace protégé (on le lui reproche assez souvent), n'est pas concernée par ce que je décris. Je vous répondrai que si pour le raisons suivantes:
- les agents SNCF ne vivent pas sur une exoplanète. Ils ont des proches qui sont concerné par ce que j'ai écrit, et qui ont dû se construire une carapace de relative indifférence au travail par simple réflexe de survie. Ils ont des épouses, des enfants, des neveux touchés par le chômage, les difficultés d'intégration ou le stress, voire le "burn out", pour ceux qui ont la chance d'être "in". Difficile d'échapper à l'ambiance générale, même si on n'est pas immédiatement concerné pour sa propre personne.
- mieux, ou pire, pour ceux qui, comme Bernard le faisait, travaillent dans un bureau d'étude, ils côtoient quotidiennement des externes avec qui ils travaillent et nouent des liens professionnels, amicaux (voire plus parfois). Or ils savent que ces externes sont une variable d'ajustement sans préavis à la moindre restriction budgétaire. J'aimerais savoir combien de projets ont été annulés et d'externes mis dehors à la suite de l'affaire des "TER trop large" (un vrai faux-problème d'ailleurs mais ce n'est pas le sujet).
- pour finir les exemples récents de France Télécom, voire de La Poste et Air France, sont là pour leur montrer que leur îlot protégé pourrait facilement être touché à son tour par la tempête. La SNCF me fait penser à Constantinople dans les derniers temps de l'empire: la citadelle tient encore mais tout l'environnement est au mains de l'ennemi.
Oui, Bernard a eu du mérite et a aidé la chance, mais il est une chance qu'il a eu et qu'on ne peut aider: vivre et travailler à une époque où "c'était possible" comme le disait un slogan oublié de la SNCF.
Aujourd'hui je me demande si l'aventure du TGV serait encore possible. Entre les principes de précaution, la radinerie budgétaire et le dictat du retour sur investissement devant précéder l'investissement, je n'en suis pas sûr.
Une brute qui tourne en rond ne va pas plus loin que deux intellectuels assis (Michel Audiard revisité)