un métier: cheminot

Les photographies, les récits, tout ce qui concerne le chemin de fer ancien.

Re: un métier: cheminot

Messagepar BB 16013
29 Aoû 2014, 00:47

Hello,
Bravo au catcheur pour ces récits de cheminots pas comme les autres !!! ;)
Je dis : " Merci Bernard"
Au sujet des 36000, voici la 26, en début de carrière, montant sur Modane de passage à St Jean de la Porte (73).

@+
Olivier
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BB 16013
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
29 Aoû 2014, 07:52

Bonjour,

Il m’est parfois arrivé, à la demande d’un rédac. Chef, de rédiger des articles ayant trait au modélisme ou au chemin de fer réel. Dans tous les cas, j’ai toujours refusé quelque rétribution que ce soit ; ceci ne m’autorise pas pour autant à publier ici certains de ces articles, ne serait-ce que par respect envers les éditeurs. C’est la raison pour laquelle, j’ai renvoyé le lecteur au VF 186 pour la description technique du TGV 001, au VF 187 pour les 30 ans du TGV et son histoire et au VF 188 pour mieux savoir qui fut André Cossié.

En ce début d’année, j’ai été contacté par Jehan-Hubert Lavie qui m’a demandé un papier de 3000 signes sur la livrée des locomotives Fret. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis mis à écrire 3000 mots. Il m’a informé qu’il n’avait pas la place de tout publier, se limitant à l’historique de la livrée et à son extension dans Ferrovissime 68. Attendu que le reste ne sera jamais publié, j’ai le plaisir d’en faire profiter les lecteurs de Forum Train, du moins ceux que la BB 27000 passionne, certain qu’ils sont très nombreux :D . J’enchainerai avec le récit de ma participation à ce projet.

Les locomotives FRET BB 27000 et 37000 de la SNCF.

I) La caisse.

Cet ensemble comporte deux cabines de conduite, une à chaque extrémité, encadrant un “compartiment machine” dans lequel sont installés les différents équipements. Un large couloir central relie les deux cabines et permet une circulation et une maintenance aisées. Les BB 27000 et 37000 rompent ainsi avec la disposition traditionnelle d’un appareillage central longé par deux couloirs de circulation.
I.1) Sa conception générale
Les blocs d’appareillages sont installés de part et d’autre de ce couloir central et sont tous extractibles par le haut. Les câbles de haute tension et les conduites pneumatiques, toutes réalisées en acier inoxydable, sont logés dans un caniveau central placé sous le platelage du couloir. Les connexions avec les blocs d’appareillage se font au niveau du plancher alors que les câbles de commande sont logés en partie haute. Cette disposition simplifie la mise en place des équipements, la prédispose pour un montage préfabriqué (pré-câblage, pré-tuyautage) et simplifiera les éventuelles modifications et/ou réparations. Les BB 27000 sont également les premières locomotives de la SNCF à être équipées de cabines à pupitre central.
La caisse, appartenant à la gamme Prima d’Alstom, a pris en compte le projet de norme européenne 12663 et les demandes particulières de la SNCF ; elle est de plus munie, par conception, d’un dispositif de sécurité passive. Elle est constituée d’un châssis fait de tôles pliées sur lequel sont rapportées les faces latérales et les cabines. L’ensemble est en acier HLE (haute limite élastique).

II) La structure
La caisse est autoportante, à faces latérales travaillantes et constituée d’éléments assemblés par soudure électrique. Le châssis comprend deux brancards entretoisés par six traverses :
- deux traverses de tête supportant les modules fusibles vissés, les tampons, le crochet de traction unifié de 1.500 kN (tendeur d’attelage unifié de 1.350 kN). De plus, elles supportent le chasse-obstacle ;
- deux traverses d’appuis, qui transmettent le poids de la caisse aux ressorts de suspension secondaire des bogies ;
- deux traverses de traction basse, servant aussi de points de fixation au transformateur principal et aux barres de traction-compression du bogie.
Le châssis comprend également :
Les structures des faces latérales qui sont constituées des battants de pavillon et de profilés verticaux pliés en forme de “U”. Leur liaison avec le châssis est assurée par des sabots sur lesquels ils sont soudés. Cette technique permet d’élaborer des montants verticaux de longueur constante, de pouvoir les relier aux brancards (qui possèdent une contre-flèche) lors de l’assemblage du chaudron, tout en s’affranchissant des tolérances de fabrication. Un lest de 7,8 tonnes est constitué de planchers lourds de cabine et de tôles épaisses logées entre les montants et les tôles de face. Les tôles de lest sont soudées à la structure sur les BB 27001 à 27010, alors qu’elles sont amovibles sur les suivantes. Cette modification offre le double avantage de réaliser de substantielles économies de soudage et de pouvoir alléger la locomotive en cas de besoin de circuler sur des lignes moins fortement armées.
Les faces latérales sont constituées de tôles ondulées de 2,5 mm d’épaisseur, soudées aux profilés de structure. Seule la BB 37001 possède des tôles de faces en 1,5 mm d’épaisseur. En début d’étude, Alstom n’était pas certain de contenir le bilan de masse de la version tricourant. De plus, le constructeur était obnubilé par l’idée d’avoir à son catalogue une locomotive tri tension de 88 tonnes. En conséquence, la diminution de l’épaisseur de ces tôles a été un des remèdes envisagés et mis en œuvre sur cette locomotive (il est à noter que le gain est faible : de l’ordre de 230 kg, à comparer aux 90 tonnes de l’engin !). C’est le chaudron de cette dernière qui a validé la résistance mécanique au banc de compression de Vitry-sur-Seine pour l’ensemble de la gamme, avec néanmoins un léger dépassement de la contrainte maximale admise dans les ondulations inférieures dudit tôlage. Le doute ayant été levé, les autres BB 37000 ont reçu des tôles de faces de 2,5 mm. Elles ont en outre un lest d’équilibrage amovible de 1,7 tonne.
Plusieurs ouvertures ont été pratiquées sur ces faces latérales : la trappe de maintenance et celles qui permettent les prises d’air pour la ventilation des moteurs de traction et des auxiliaires. Cette trappe permet au personnel d’extraire de petits équipements, sans avoir à transiter par les cabines de conduite.
Les capots de toiture reposent sur la périphérie de la toiture et sur une entretoise centrale démontable, puis sont vissés sur toute la longueur des battants de pavillon. Chacun des deux capots porte un -ou deux- pantographes et une partie des lanterneaux de ventilation des équipements électriques ou de sortie d’air du freinage rhéostatique. Ils supportent en outre les appareillages de la ligne de toiture. Ils sont essentiellement constitués de tôles et profilés d’aluminium. Les toitures de cabines en acier sont intégrées à l’ossature de cabine et ne sont pas démontables.



III) Les cabines de conduite
Elles sont construites de façon indépendante et contribuent à l’équerrage de la caisse : elles sont encastrées dans le châssis et sont assemblées par soudure aux traverses de tête et aux faces latérales. Leur structure est conçue pour protéger efficacement le personnel de conduite en cas de collision : le pourtour de la baie frontale est constitué de montants renforcés, les cinq montants du tablier sont liés à la traverse de tête.
Nouvelle innovation par rapport aux autres séries d’engins moteurs SNCF, les faces latérales des cabines de conduite des BB 27000 et 37000 sont équipées de deux rétroviseurs chauffants. Sur ces mêmes faces latérales se trouvent les ouvertures des portes d’accès.



IV) Peinture et protection anticorrosion longue
La protection anticorrosion de la locomotive est assurée par peinturage.
L’extérieur de la caisse reçoit successivement :
- une couche de peinture primaire anticorrosion à base de résines époxydiques ;
- une couche de fausse teinte ;
- une base opaque ;
- un vernis polyuréthane.
Les autres parties de la caisse de la locomotive ainsi que les équipements sont protégés par d’autres systèmes de peinturage, en général une peinture “monocouche”.
Certains corps creux de la caisse sont protégés par injection de peinture époxydique monocouche au travers de trous prévus à cet effet. Ces trous sont par la suite obturés par des bouchons en plastique.
Tous les marquages extérieurs et intérieurs prévus par la fiche UIC 640 sont appliqués aux locomotives suivant les règles internationales.

V) La sécurité passive
La philosophie de la SNCF pour la protection du personnel en cas de choc frontal induit une conception de caisse avec bouclier frontal. Cette caisse répond très largement aux Normes Européennes : à la demande de la SNCF, la face frontale de la caisse des BB 27000 résiste à un effort de compression de 700 kN appliqué sur toute sa hauteur, depuis l’encastrement inférieur jusqu’à la ceinture (sous la baie frontale). Cette ossature est essentiellement constituée de tôles soudées sur des jambes de force. La protection frontale de la caisse est complétée par un dispositif d’anti-chevauchement des véhicules et des tampons fusibles montés sur des caissons à déformation programmée dont le rôle est l’absorption progressive d’énergie. Ces dispositions garantissent la même résistance au choc qu’un matériel équipé d’un bouclier de type nid d’abeille.

VI) Les tampons fusibles
Ils sont le fruit d’une collaboration entre Alstom, les Aciéries de Ploërmel et l’école Centrale de Nantes où ont eu lieu les tests d’homologation. Les tampons fusibles sont conçus pour absorber des chocs avec des engins similaires jusqu’à 12 km/h sans dégradation, ce qui correspond aux tampons de la catégorie C. De 12 à 36 km/h, la déformation est progressive. La technique retenue consiste à usiner, lors d’un choc, un tube d’aluminium au moyen de couteaux. Un repère placé sur le boisseau assure le contrôle visuel de l’intégrité du tampon. Il disparaît en cas de début de déformation.
Au-delà de la “fusion” des tampons fusibles, un caisson déformable prend le relais. Les deux tampons sont conçus pour absorber une énergie de 1 mégajoule (MJ), les deux caissons pour absorber 1,25 MJ, soit une capacité globale par traverse de tamponnement de 2,25 MJ.
Complément de ces dispositifs, des tôles anti-chevauchement sont soudées à la partie frontale des caissons. Après déformations des tampons et des caissons, leur imbrication interdit tout chevauchement d’une caisse sur l’autre. Les 27000 sont les premières locomotives de la SNCF à bénéficier de ce dispositif.
Les dix premières locomotives (BB 27001 à 27010) sont munies de traverses de tamponnement monoblocs démontables. À partir de la onzième, les caissons fusibles et le dispositif de traction sont constitués de modules indépendants afin de mieux garantir les déformations programmées en cas de choc axial ou décalé et d’en faciliter le remplacement. D’ailleurs, ce dispositif peut remplacer les traverses monoblocs des dix premières locomotives en cas de réparation de l’une d’elles.
Pour tenir compte des expériences passées, le “clair de baie” des vitres frontales est de cinquante millimètres inférieur aux dimensions de ces dernières grâce à l’encadrement intérieur périphérique ; ceci interdit leur intrusion dans la cabine en cas de choc frontal et protège ainsi le conducteur.
Un autre élément de la sécurité passive, qui peut paraître anodin, est le chasse-obstacle. Considéré parfois comme une lame chasse-neige (dont il possède la forme et en assure occasionnellement la fonction), il est d’une grande efficacité dans la fonction pour laquelle il a été défini : chasser les obstacles et en particulier les automobiles sur les passages à niveau évitant ainsi le déraillement de la locomotive et du reste du convoi, avec les lourdes conséquences financières en découlant. Les chasse-obstacles répondent aux critères de la SNCF : en cas de choc, ils doivent résister à un effort de 500 kN sur les appuis latéraux et de 300 kN dans l’axe de la voie.





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Undertaker
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
30 Aoû 2014, 09:35

Bonjour,

Étant pensionné depuis à peine deux mois, Bernard Canet m’avait sollicité pour rédiger un article sur les BB 27000/27300/37000/37500. Celui-ci a été publié dans VF 155 de mai-juin 2006. Il n’est donc pas question de le recopier intégralement, ni même partiellement. Il vaut surement mieux s’intéresser à la manière dont le projet a été vécu, notamment par les services techniques de la SNCF, et en particulier pour la partie caisse qui m’était dévolue.

Auparavant, lorsque la SNCF lançait un appel d’offres pour du matériel roulant, elle rédigeait un cahier des charges volumineux dans lequel les solutions techniques, telles qu’elle voulait les voir appliquées, étaient presque intégralement décrites dont certaines étaient même dessinées et jointes en annexes. Par exemple, le cahier des charges du TGV PSE comportait quelques 900 pages avec les annexes ! Pour les BB 27000, c’est une révolution (tant pour la SNCF que pour le(s) constructeur(s) d’ailleurs) puisque l’appel d’offres s’est fait sur la base d’un cahier des charges fonctionnel (cdcf) dans lequel on se contente de définir les grandes lignes du produit, ses capacités, les performances et la disponibilité que l’on attend de lui. Il comporte néanmoins plusieurs dizaines de pages ! Dans le cas de la BB 27000, désignée « locomotive Fret » à l’origine du projet, le soumissionnaire doit remettre une offre chiffrée en termes de coûts d’acquisition et de possession, une offre technique, un plan d’homologation, un plan de justification de la définition, une trame de maintenance et un prototype. Une fois reçus par le client, ces documents sont ventilés dans les services compétents pour notation de l’offre et, bien évidemment, les notateurs techniques ne sont pas informés de l’offre financière afin de ne pas influencer leurs jugements. Reste ensuite au client de retenir le « mieux ou le moins disant », à sa guise… Quand j’ai pris mon poste aux caisses locomotives, toutes ces étapes avaient déjà été franchies : le constructeur retenu était Alstom et ce dernier était en cours de réalisation de sa Prima 1. À partir de cet instant, les documents contractuels sont devenus « mes livres de chevet (professionnels) ».

Les équipes, tant coté client que fournisseur, sont constituées de manière assez symétrique et comprennent : un Chef de projet, son adjoint et le secrétaire, un représentant juridique et un responsable de lot dans chaque domaine technique (bogie-captage, caisse, frein, électrique). L’équipe SNCF comprenait en outre deux électriciens (l’un pour la chaine de traction, l’autre pour l’informatique), trois représentants de la maintenance dont deux étaient attachés aux ateliers d’Oullins (désigné atelier directeur de la série) et un du dépôt d’Avignon (établissement où les BB 27000 ont été mises en service) et, enfin, un représentant du contrôle en usine. Ces équipes sont réunies toutes les six semaines lors de réunions plénières (RP). Les responsables de lots doivent informer le secrétaire SNCF des sujets qu’il souhaitent aborder en RP une dizaine de jours à l’avance afin qu’il les transmette à son homologue de chez le constructeur, ce dernier adressant aux participants l’ordre du jour complet, une semaine avant la date retenue lors de la précédente RP.

Chaque responsable de lot se repose sur des experts dans les spécialités dont il a la responsabilité : en ce qui me concerne, pour assurer ma mission, je m’appuyais sur les experts dans les domaines des ossatures de caisse et de la sécurité passive, la climatisation, la lutte contre l’incendie, les aménagements et revêtements intérieurs, les peintures, le gabarit, les vitrages, la production d’air comprimé, les essuie-vitres, etc. La caisse est une ossature à part entière mais elle repose sur des bogies et recèle tous les équipements intérieurs et extérieurs dont il faut aussi gérer les interfaces.
Au fur et à mesure de l’avancement du projet, le constructeur édite des documents qu’il transmet au client via le secrétaire de projet, qui les enregistre dans une base de données et les ventile au responsable de lot concerné. Lorsqu’un organe, un produit ou un ensemble est défini par le constructeur, il fait l’objet d’une spécification technique et de dessins de détails ou d’ensemble. Ces documents doivent être analysés par le responsable de lot et il doit aussi les transmettre à ses experts et aux représentants de la maintenance. Tous ont accès à la base de données pour transcrire les commentaires éventuels, mais seul le responsable de lot a le pouvoir (et le devoir) d’attribuer la note suivante, dont le représentant du contrôle en usine est aussi informé :
- « A » pour approuvé (tout va bien).
- « OT » pour observation technique, ce qui signifie que l’on est d’accord sur le fond mais pas forcément sur la forme et que la recherche d’une correction commune sera recherchée. Ce n’est pas une entrave à la poursuite du projet.
- « OM » pour observation majeure : contractuellement, c’est l’arrêt immédiat de la fabrication, mais dans les faits la construction continue…
Lorsqu’il y a un tel désaccord, les acteurs du projet instaurent une réunion technique spécialisée (RTS) au cours de laquelle on ne traite que du sujet litigieux, entre experts, évitant ainsi de polluer les RP. Le constructeur peut aussi initier une RTS par laquelle il veut faire part d’évolutions techniques nécessitant l’accord du client : pour ma partie, il y en a eu une bonne dizaine. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’attribuer l’OM et, dans pratiquement tous les cas, de lever la sanction dès lors qu’ un accord avait été trouvé en RTS. La seule observation OM qui est restée en l’état a concerné le test de résistance de la structure de caisse de la BB 37001 : j’étais vraiment fâché contre le constructeur, ayant le sentiment qu’il aurait pu faire mieux et pas plus cher, pour cette caisse de locomotive notamment pour les tôlages de face. Lors d’une rencontre avec d’anciens collègues, j’ai appris que la sanction n’avait été levée que bien après la livraison de la dernière machine électrique de la gamme Prima, soit bien après ma retraite.

Dans ma partie, les points les plus forts autour de cette BB 27000 ont été :
- redéfinition de la cloison de séparation entre la cabine et le compartiment moteur. Cette cloison comporte une porte qui donne accès au compartiment arrière mais qui est également, et c’est bien-là le fondamental, l’issue de secours du conducteur. Sur la Prima 1, le linteau était situé à 1710 mm du niveau du plancher, à tel point que les techniciens d’essais avaient disposé des mousses les protégeant des chocs à la tête. Lorsque j’ai appris que les 27000 auraient la même disposition, j’en entamé ma première croisade ! La fiche UIC 651 disait : le couloir d’évacuation (dont la porte y donnant accès fait partie) mesure 1800 m de haut sur 450 mm de large et doit garantir un passage minimal défini par un rectangle vertical de 1710 x 400 mm. Autrement dit, on peut accepter un pan coupé dans la hauteur, voire un seuil inférieur à franchir. Je ne sais pas combien de courriers j’ai pu rédiger sans faire bouger l’adjoint au chef de projet, un peu trop « psychorigide » à mon gout. Finalement, après trois mois de lutte, le Directeur de l’usine de Belfort a tranché : les tympans des cloisons des deux premières locomotives ont été modifiés à une hauteur de 1870 mm et les locomotives suivantes en ont bénéficié de série. Après coup, le Chef du département des locomotives, qui était aussi le Chef de projet, avait remercié mon opiniâtreté par courrier adressé à mon supérieur hiérarchique, mais m’avait verbalement déclaré : « au début de cette affaire de porte, je me suis demandé si tu n’étais pas un peu emmerdeur. Mais finalement, j’ai conscience que grâce à toi, nous avons une locomotive aux critères actuels et surtout que, sans ton insistance, nous n’aurions jamais pu l’homologuer ».
- redéfinition de la traverse fusible monobloc d’origine : cette traverse présentait plusieurs inconvénients dont sa masse, son coût d’usinage et la « programmation de sa déformation » qui était loin d’être certaine. Par contre, la nouvelle conception en trois éléments séparés (deux modules latéraux d’absorption d’énergie et un module central pour le dispositif de traction) a permis d’éliminer les inconvénients de la précédente.
- remplacement des essuie-vitres d’origine à deux bras et à motorisation électrique par un essuie-vitre mono bras et à motorisation pneumatique (dérivé de l’essuie-vitre du TMST). Le dispositif d’origine devenait inefficace dès 80 km/h et ne répondait pas aux critères requis.

D’autres points ont été modifiés, d’importance moindre, mais tout aussi utile :
- amélioration des ventelles des lanterneaux de sortie d’air en toiture.
- amélioration de la climatisation de la cabine.
- doublement des conduites CP/CG et élargissement des plateaux de tampons à cause des grands porte-à-faux.
- amélioration du siège du conducteur.
- amélioration de l’étanchéité des capots de toiture.
- simplification du montage des lests.
- abandon du fraisage de la traverse de tête avant soudage au châssis !
Et la liste est encore bien longue, je dirais une bonne vingtaine de points supplémentaires.

Puis, Alstom avait lancé une première vague de modifications visant à dégager des économies sur la construction de la machine. Nous avions participé à une réunion de type « brainstorming » à ce sujet sur deux jours dans un cadre verdoyant. Quelques temps plus tard, nous avions à nouveau été réunis pour une vaste opération de « redesign » de la loco. Si l’on compte tout cela mis bout à bout, j’estime à plus de cent modifications caisse entreprises depuis l’origine du projet. On peut donc se poser la question : le constructeur était-il suffisamment armé pour étudier seul une locomotive, sans l’apport des compétences de la SNCF ? Je crois que pour une première réalisation répondant à un cdcf, la réponse est non ; de même que je suis convaincu qu’après le retour d’expérience des locos de la gamme Prima, la réponse serait aujourd’hui assurément oui. Je prends pour exemple la façon remarquable avec laquelle Alstom a étudié son AGV : dommage qu’il n’ait pas trouvé plus d’acquéreurs. Et que dire de la maintenance, Alstom était à l’époque bien incapable d’en écrire une seule ligne.

En tout cas, c’est un projet qui m’a captivé durant les quatre années que j’ai passées aux locomotives. J’ai été intransigeant (dans le respect de la bienséance et du soutien de ma hiérarchie) dans la défense de l’intérêt de mon Entreprise, notamment lorsque le produit ne répondait pas aux spécifications du cahier des charges, aux normes en vigueur ou aux règles de sécurité. Par contre, dès lors que le constructeur proposait une solution GAMÉ (globalement au moins équivalent) pour réduire ses coûts de production, j’ai toujours été à son écoute. Dans la mesure du possible, lorsqu’une solution lui permettait de dégager des économies, je négociais la fourniture des pièces nouvelles à titre gratuit et la SNCF prenait leur montage à sa charge : du rétrofit à moindre coût. De plus, ça ne coûtait pas grand-chose de contribuer à la mise à disposition les installations SNCF pour faciliter la tâche de leur SAV. De bons compromis finissent toujours par coûter moins cher que des situations conflictuelles lancinantes.

Il n’y a qu’un sujet qui m’a laissé un gout amer pour ne pas avoir réussi à le faire changer : c’est la barre de liaison caisse bogie, dite de traction-compression. Cette barre pèse 230 kg, elle est taillée et usinée dans de la tôle de 130 mm d’épaisseur dont je n’imagine même pas le coût de fabrication. Pour « tomber » un bogie, sa dépose est complexe et nécessite une table élévatrice spécifique. De plus à l’origine, elle était responsable d’ondes vibratoires longitudinales de la caisse et générait une fréquence parasite dans les moteurs de traction. Ceci a momentanément été résolu par l’assouplissement des rotules caoutchouc dans les têtes, en espérant que le vieillissement du caoutchouc n’aura pas de fâcheuses répercussions. Enfin, cette barre occasionne un déséquilibre de 500 kg entre les deux essieux d’un même bogie, valeur qui passe à 1000 kg sous charge, les pesées des locomotives l’attestent. Alstom disait ne pas vouloir la changer afin d’éviter une nouvelle homologation du bogie, alors qu’on aurait pu se contenter de tester uniquement les traverses extrêmes sur lesquelles on aurait disposé les nouvelles attaches, à mon avis la SNCF l’aurait accepté. Je prônais une liaison caisse-bogie du type CC 6500 qui est d’une simplicité notoire et qui a donné entière satisfaction. Cette affaire avait occasionné une réunion au 15 rue Traversière en présence du Directeur Général d’Alstom Transport et de tous ses collaborateurs dans le projet BB 27000/37000, face à tous leurs homologues de la SNCF. À la fin de la réunion, Roland Bonnepart, Directeur du Matériel SNCF, a déclaré : « je note que nous avons fini par accepter une position commune pour maintenir cette barre de liaison, mais je vous demande aussi de noter qu’il y en a un qui n’est pas d’accord ; c’est Mr. Bayle ». Ce qui me laisse à penser que la BB 27000 (et ses cousines) est une bonne machine ; il s’en fallait de peu pour qu’elle fut une très bonne machine.

Le Chef de projet Alstom était Philippe Colignon, auquel Jean-Jacques Lang avait succédé : je l’avais précédemment connu en qualité de Chef de projet BB 36000. Récemment pour l’article de Ferrovissime, j’ai contacté Jean-Jacques Lang par mail. Dans la demi-journée qui a suivi, il m’adressait les images pour lesquelles je l’avais sollicité, avec un mot d’accompagnement très courtois, ce qui me semble bien traduire la qualité des relations que nous avons entretenues durant un projet difficile pour nos deux Sociétés. Dix ans après, rien ne l’y obligeait : s’il me lit, je l’en remercie publiquement.




img399.jpg
Le pupitre en position centrale. (photo Alstom)

img400.jpg
Vue intérieure du couloir : à gauche l’armoire système suivie du bloc moteur 1, à droite l’unité de production d’air et les réservoirs principaux. (photo Alstom)

img401.jpg
Vue intérieure du couloir : à gauche le bloc moteur 2, à droite le bloc commun suivi du bloc rhéostatique. (photo Alstom)

img402.jpg
Vue intérieure de la trappe de maintenance. (photo Alstom)




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Re: un métier: cheminot

Messagepar Pierre bis
30 Aoû 2014, 10:39

Je ne trouve pas non plus les 27000 si moches que ça. C'est surtout la livrée FRET que je trouve très moche et qui arrive à enlaidir tous les engins sur lesquels elle a été appliquée. Une 6500 ou une 9200 "Fret", vous trouvez ça vraiment beau?

Les 27300 que je vois à St-Lazare ne sont pas moches du tout. Le seul truc que je leur reproche, c'est, en vue de profil, l'impression que les bogies ne "remplissent pas" leur espace, un peu à la manière de certaines "BB" jouets montées sur des châssis à deux essieux. Remplacez ces bogies des 27300 par des bogies de 6500 et je suis sûr que vous verrez un engin plus équilibré.
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un métier: cheminot

Messagepar ligure
30 Aoû 2014, 10:40

Bonjour à tous,

De mauvais esprit je ne me permettrai pas mais je trouve le raccourcis un peu rapide.
Étant responsable traction chez ETF Services, je vais pouvoir répondre. La 27124 est restée très longtemps stationnée à Juvisy tout simplement parce que c'est une machine de réserve. Les problèmes techniques et de maintenance étant assez important sur notre parc de Prima, Akiem nous facture cette machine a un tarif très intéressant ce qui nous permet de pallier à tout problème et à Akiem de louer une machine supplémentaire, et aussi de pouvoir répondre à des demandes de train spot.

Je précise aussi que la voie sur laquelle la machine est stationnée à Juvisy est louée par ETF Services pour y stocker son matériel.

Elle devrait d'ailleurs être de retour la semaine prochaine à Juvisy.

Bonne journée.
Alex.



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Re: un métier: cheminot

Messagepar Aldayo
30 Aoû 2014, 12:51

Tous les points de vue sont intéressant !
Si vous avez vous aussi des anecdotes sur les 27000, n'hésitez pas à les partager !!
Qui croit savoir ne sait rien.
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
30 Aoû 2014, 13:13

ligure a écrit:Bonjour à tous,
De mauvais esprit je ne me permettrai pas mais je trouve le raccourcis un peu rapide.
Étant responsable traction chez ETF Services, je vais pouvoir répondre. La 27124 est restée très longtemps stationnée à Juvisy tout simplement parce que c'est une machine de réserve. Les problèmes techniques et de maintenance étant assez important sur notre parc de Prima, Akiem nous facture cette machine a un tarif très intéressant ce qui nous permet de pallier à tout problème et à Akiem de louer une machine supplémentaire, et aussi de pouvoir répondre à des demandes de train spot.
Je précise aussi que la voie sur laquelle la machine est stationnée à Juvisy est louée par ETF Services pour y stocker son matériel.
Elle devrait d'ailleurs être de retour la semaine prochaine à Juvisy.
Bonne journée.
Alex.
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Il y a un an ou deux, j'ai rencontré un gars qui est en activité chez SNCF, dans une Activité, et je lui ai fait part de mon étonnement: " au lieu de tirer des trains, ce qui me parait être le cœur de sa mission, SNCF loue à ses concurrents les locomotives FRET qu'elle a achetées" (et qu'elle doit vraisemblablement continuer de payer ; ceci étant ma vision étroite). Il m'a répondu: "bien sur, c'est plus juteux de les louer" !
Si je comprends bien : on achète, on loue, on repeint et on décore d'adhésifs, on sous-loue si besoin est, et tout le monde finit par y trouver son compte.
Je vais donc me limiter au récit de ce que j'ai vécu et éviter de donner un avis sur ce chemin de fer moderne auquel je ne comprends plus grand chose.
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Re: un métier: cheminot

Messagepar ligure
30 Aoû 2014, 13:22

Je peux comprendre que cela soit déroutant. En même temps nous sommes encore une petite entreprise et nous n'avons pas les moyens de nous payer des machines qui ne roulent pas.

La SNCF fait la même chose avec ses wagons aussi.
Le principal est que tout le monde y trouve son compte. Ce n'est pas à notre niveau que la réforme ferroviaire se fait.


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Re: un métier: cheminot

Messagepar Undertaker
30 Aoû 2014, 19:48

En marge de la livrée FERT et de son histoire, j’ai un petit point à ajouter :




Après avoir travaillé à l’extension de cette livrée sur le parc dédié à Fret, j’avais cru bon de la décliner à d’autres activités car, si on ne pouvait interrompre le saucissonnage de l’Entreprise, autant essayer de conserver une cohérence visuelle, quitte à ce qu’elle ne soit que de façade. J'étais donc parti de l’idée du TER du milieu des années 80 qui proposait une livrée commune, seule la variation d’une couleur de base étant laissée au choix de la région administrative. Alors, j’avais remplacé le vert jade du Fret par du jaune d’or pour l’activité Infra, celui utilisé sur la face avant des motrices Eurostar. Dans la foulée, j’avais dessiné un logo en utilisant la police de caractères de Fret. D’accord avec le Chef du département des locomotives, j’avais fait peindre la BB 67210 (à Longueau) et la BB 63617 (à Nevers).
Les deux locomotives étaient venues à Paris-Saint-Lazare pour une présentation à la jeune dame chargée de communication de l’Infra. Comme pour celle qui avait un problème avec l’inclinaison des motifs de la livrée Corail+, voilà que celle-là avait un problème avec le jaune : elle voulait de l’orange. J’avais apporté à cette réunion des PDF d’une BB 22200 en livrée identique, sauf que le bleu Institution avait pris la place du vert Fret et du jaune Infra, avec évidemment une marque TER dans le parallélogramme blanc. Comme la petite dame ne voulait pas en démordre de l’orange, j’ai remis mes dessins dans le carton et l’ai saluée respectueusement. Avec l’âge, on devient moins impétueux : alors, contrairement à l’époque de la livrée Corail + où j’avais agi dans le sens du poil, là j’ai pensé qu’il valait mieux classer sans suite… Les BB 67210 et 63617 resteront donc uniques dans cette livrée. Ce n’est que plus tard qu’une livrée spécifique à l’Infra a vu le jour avec du jaune, voire beaucoup de jaune !







2B.
Undertaker
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Aldayo
30 Aoû 2014, 20:47

Je préfère quand même la livrée infra actuelle (surtout sur les BB75000) même si j'aime pas trop le liséré carmillon.

Par contre, la plus belle livrée à mes yeux restera la corail+/multiservice !!
Elle se suffit à elle seule et pour toutes les activités !!
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