Episode E
Il nous reste 550 m à parcourir jusqu’au bout de la ligne, tout droit mais envahi de ronces : par endroit nous devrons même slalomer entre les branches frêles mais agressives qui masquent encore le point final pour éviter d’accrocher nos vêtements.
Les quatre prochaines photos seront prises en marche arrière, essentiellement parce que c’est sous cet angle qu’elles étaient le plus parlantes. Tout d’abord le PN7 et l’avenue des Vieux Moulins que nous venons de traverser. Guère différent vu sous cet angle que vu de l’autre côté. On retrouve, de ce côté-ci, un signal de protection du passage à niveau, signal décrit précédemment. Un seul détail à noter : l’immeuble dont on aperçoit une partie, tout à gauche. Il n’a rien de particulier, n’est même pas beau (bête cube de béton et de verre, style post-néomoderne ou quelque chose dans le genre…) mais il nous servira de point de repère dans les photos suivantes.
Première surprise : un embranchement particulier assez long sur la droite (mais sur la gauche dans cette photo puisqu’elle est prise en regardant toujours vers l’arrière – on aperçoit bien en arrière-plan notre immeuble repère). Je dois avouer ne pas savoir à quelle firme appartient ce fameux immeuble, j’aurais dû mieux regarder. Mais l’embranchement particulier qu’on longe, là, est sur le terrain de la firme « Annecy Granulats », spécialiste en « sables, cailloux, graviers, recyclés » (le « recyclés » ici est un nom, pas un adjectif, c’est-à-dire : « produits recyclés »…)
Deuxième surprise : l’embranchement particulier ne comporte pas une mais deux voies de garage, comme le montre clairement cette photo. Il s’agissait donc d’un important client du rail, autrefois. Et quand on voit le nombre de tas de sable, cailloux et gravier qui s’élèvent sur cette assez vaste zone on n’a pas beaucoup de mal à imaginer les rames de wagons tombereaux qui devaient être acheminées jusqu’ici. Aujourd’hui c’est autant de lourds camions qui vont saboter l’avenue des Vieux Moulins…
Et voilà l’aiguille de raccordement de cet embranchement particulier à la « voie principale ». La quantité de ronces dans le coin ne m’a pas permis de prendre une photo plus détaillée mais on voit encore assez bien l’aiguille donnant accès aux deux voies de cet embranchement. Au fond notre cube de béton et de verre est toujours là, de plus en plus éloigné. Dites-lui au revoir, vous ne le verrez plus.
Je n’ai pas bougé par rapport à la photo précédente, je me suis juste tourné de 180° et là, c’est sûr, nous arrivons au bout. Plus que 200 m ! Notez qu’ici la flèche blanche est dans le bon sens, vers la gauche (en y réfléchissant un peu je me dis que la flèche mal orientée décrite plus haut, à la sortie du faisceau de voies, a sans doute été détournée par un plaisantin – mais ne sont-elles pas mieux fixées ? A vérifier si l’occasion se présente). Une dernière remarque avant d’avancer : sur la gauche on aperçoit un haut grillage. Ce n’est que le premier entourant une aire de stockage d’hydrocarbures. Il y a un deuxième grillage quelques mètres en arrière, avec barbelés à la cime et des panneaux avertissant qu’il est électrifié. Le périmètre est en outre surveillé par caméras vidéo, et enfin j’ai aperçu deux ou trois employés au regard sombre quand ils m’ont vu avec mon appareil photo. Bref, courageux mais pas téméraire, j’ai décidé de ne pas prendre de photo de ces installations « sensibles » (cela aurait pourtant été intéressant). En tout cas pas la moindre trace d’un embranchement particulier ayant jamais desservi cette aire de stockage. Cela aurait pourtant été sympa, des rames de wagons citernes…
Mais trêve de rêveries, voici enfin le bout, la fin, le heurtoir. Et nouvelle surprise : il est pourvu d’une lanterne rouge allumée (certes je l’avais vu d’assez loin, ce n’est donc pas vraiment une surprise, mais même les photos numériques n’ont pas la sensibilité de l’œil humain au niveau du contraste, et de loin ! En principe on devrait bien voir ce fanal rouge sur la photo précédente, mais il n’y apparaît pas. Les mauvaises langues diront que c’est mon apn qui n’est pas à la hauteur : peut-être bien).
Est-ce vraiment la fin ? le bout du bout ? Pas tout à fait car il y a une dernière surprise (une vraie cette fois-ci). La voie continue au-delà du heurtoir qu’on aperçoit ici en gros plan. Et il y avait même une aiguille donnant accès à deux voies de garage traversant le chemin de la Césière ! (Ne me demandez pas ce qu’est une « césière », je n’en sais strictement rien ; c’est parfois aussi orthographié « Cézière » et j’ai même vu sur une adresse « chemin de la Césiaire ». Peut-être une ancienne ferme, un lieu-dit…) C’est sur ce chemin, à environ 200 m sur la gauche, que se trouve la fromagerie Entremont que certains connaissent sans doute puisque sa production est envoyée à travers toute la France et même à l’étranger (Espagne, Allemagne notamment). Il n’y a en fait pas le moindre fromage fabriqué ici, ce n’est qu’un centre de conditionnement et d’emballage, rien de plus.
On aurait pu croire ce tout dernier passage à niveau, le PN8, totalement abandonné, neutralisé et démonté. Pas du tout ! Les panneaux et les feux de signalisation sont encore là pour prévenir les automobilistes trop insouciants. Ces installations seront probablement encore là dans vingt ans… Avant de quitter l’endroit on ne manquera de voir le panneau indiquant la limite entre les communes d’Annecy et de Seynod. Pas tout à fait innocent : chaque commune a placé sa propre pancarte sur le poteau, l’une plus grande que l’autre (« la mienne est plus grande que la tienne »). Cela en dit long (très long même) sur la rivalité entre les deux communes ! Pour situer le contexte : Annecy = 53 000 habitants ; Seynod = 18 000 habitants…
Nous avons ainsi parcouru, Mme bw et moi, la ligne sur toute sa longueur. Mais nous n’en avons pas tout à fait fini. Il reste deux points que je tenais à élucider. D’une part l’embranchement mystérieux qu’on avait vu disparaître sur la gauche en double voie, ce sera le prochain (bref) épisode. D’autre part les vestiges, s’il y en a, de la ligne qui continuait vers Albertville, ce sera le dernier épisode.