H49
Les années trenteLa suite de l’histoire de la DRG va se dérouler dans un contexte tragique : celui de l’Allemagne nazie. A l’été 1929 pourtant, Berlin est une des capitales les plus avant-gardistes d’Europe, qui rivalise avec Paris. Le pays est gouverné par une alliance du centre et de la social-démocratie, les partis extrémistes n’ont pas 10 députés au Reichstag. Grâce à l’entente entre leurs ministres des affaires étrangères, Gustav Stresemann et Aristide Briand, les relations avec la France se détendent.
Quatre ans plus tard, les nazis sont au pouvoir. Comment en est-on arrivé là ?
La fin de la République de WeimarEn 1929, les cinq années de calme et de prospérité dont a bénéficié la République de Weimar touchent à leur fin. Les responsables en sont à chercher partout dans le monde développé, mais en 1929, l’interdépendance de l’action de tous les grands responsables mondiaux n’est pas encore perçue comme nous la ressentons de nos jours.
Le détonateur est américain : c’est la « journée noire » de Wall Street en octobre 1929 qui peut être raisonnablement considérée comme le premier acte de ce qui conduira à la deuxième guerre mondiale. A l’issue de la boucherie de 14-18 et du bouleversement dramatique de l’ordre mondial, des rapports économiques et sociaux qui en ont découlé, le monde, et singulièrement l’Allemagne, a besoin de temps pour se remettre. De temps et de prospérité. Les cinq années qui séparent 1924 de 1929 en sont l’ébauche mais elles sont insuffisantes.
L’écroulement de l’économie, à peine remise en marche, est brutal. En quelques mois seulement, faillites, chômage s’enchaînent à une allure vertigineuse. En réaction, la gauche rêve protection et relance par l’Etat ; la droite déflation et mesures d’aides aux entreprises. (Nous y sommes toujours !). Or en 1928, la gauche et la droite modérées gouvernent ensemble sous l’autorité d’un chancelier socialiste qui a été nommé, comme le veut la constitution de Weimar, par le Président de la République après consultation des responsables politiques.
Le Président de la République de Weimar en 1928 n’est malheureusement plus Friedrich Ebert. C’est depuis 1925 le maréchal Paul Von Hindenburg qui occupe le poste. L’homme n’est ni un grand penseur, ni un grand stratège. Mais il est calme et réfléchi et, même si ses ardeurs républicaines ne sont pas nécessairement très vivaces, c’est un honnête homme. Mais à la fin des années 20, c’est aussi un homme âgé, dont la situation n’est pas sans rappeler celle du Maréchal Pétain à la veille de la deuxième guerre mondiale. Il est respecté – à juste titre – pour ses antécédents mais est très diminué par l’âge et entouré d’une « cour » d’individus pas très clairs au rang desquels se trouve le général von Schleicher, numéro deux de l’armée, et le propre fils de Hindenburg, Oskar.
Avant la crise, la gauche avait réussi à faire voter une loi mettant en place l’assurance chômage. Avec la crise, les fonds pour l’alimenter viennent à manquer et les impôts divers pour la financer se multiplient, créant une levée de bouclier de la part des partis populistes formant l’aile droite de la coalition au Reichstag (il s’agit du parti DVP « Deutschenationale», différent du NSDAP d’Adolf Hitler - Les nazis en 1928 font à peine 2,6% des voix).
La crise éclate en 1930 sur la question de l’assurance chômage. Le SPD d'une part et le zentrum d'autre part campent sur des positions inconciliables et amènent le chancelier Johannes Müller-Franken à remettre au Président la démission de son gouvernement.
Constatant l’impossibilité de rassembler une nouvelle majorité, Hindenburg, sous l’influence de sa « cour » décide de nommer un « gouvernement présidentiel » ayant les pleins pouvoirs face au parlement. L’homme pressenti pour en devenir le chef est Heinrich Brüning, catholique du « Zentrum », organisateur des syndicats chrétiens et respectueux de la démocratie. Brüning gouverne par décrets en vertu d’un article de la constitution de Weimar. Cependant, arrivé à l’issue de la période constitutionnelle, craignant l’opposition du Reichstag à la poursuite de sa politique, il dissout l’assemblée et convoque de nouvelles élections.
Elles sont catastrophiques.
Les élections ne donnent que 35% des voix aux partis de l’ancienne coalition. Le SPD se maintient à peu près mais les libéraux du Zentrum et les conservateurs traditionnels s’effondrent au profit du parti hitlérien qui, passant de 2,6 à 18,3% des suffrages, passe de 2 à 107 députés. Ceux-ci viennent siéger en chemise brune et chahutent toutes les sessions parlementaires.
Dans la rue, des batailles rangées ont régulièrement lieu entre nazis et communistes, que la police – qui n’est pas nazie – réprime avec difficulté. Faute de solution de rechange, le SPD choisit de soutenir Brüning qui est reconduit dans son poste de chancelier. Afin de calmer la rue, celui-ci interdit les milices partisanes dont surtout la SA et la SS hitlériennes. Le calme revient et Brüning, fin négociateur, obtient de beaux succès dans les conférences qui se succèdent encore pour régler la question des réparations.
Au printemps 1932, le mandat du président Hindenburg touche à sa fin. Hitler qui vient d’acquérir la nationalité allemande est bien décidé à se présenter. Afin d’empêcher son élection, Brüning joue de toutes ses qualités de diplomate, qui sont grandes, pour amener la gauche à voter pour Hindenburg, un vieux militaire réactionnaire, tout en ayant auparavant persuadé celui-ci de se présenter comme le candidat de la République. La manœuvre réussit et Hindenburg est réélu. Mais Hitler a rassemblé 13,4 millions de voix sur son nom.
La poursuite de la mission de Brüning aurait pu, peut-être, sauver l’Allemagne du nazisme. Apprécié à l’international, soutenu par Briand et Hoover, il va être trahi par Hindenburg lui-même - qu’il a contribué à faire réélire - influencé qu’il est par ses « conseillers » qui lui ont fait miroiter le fait qu’une fois associés au pouvoir, les nazis s’empêtreraient à leur tour dans les méandres du parlementarisme et abandonneraient le radicalisme qu’on leur prête de façade et destiné seulement à glaner l’opinion.
A peine réélu donc, Hindenburg congédie Brüning, lequel voulant profiter de la toute relative défaite présidentielle des nationaux socialistes, demandait une nouvelle dissolution du parlement en espérant y voir arriver une représentation plus homogène, et nomme à sa place Franz von Papen, député quasi inconnu du Zentrum à la diète de Prusse, ancien camarade de Schleicher et du fils Oskar.
Nous sommes le premier juin 1932.
La première mesure du cabinet Von Papen est d’annuler l’interdiction des SA !
Suite à l’impossibilité de réunir une majorité de soutien, Papen obtient de Hindenburg ce qui avait été refusé à Brüning : une nouvelle dissolution. Les élections ont lieu le 31 juillet 1932 et sont encore plus désastreuses pour le camp républicain : Les nazis, avec 37,2% des voix ont maintenant 230 députés. A la première séance, Goering est élu président de l’assemblée, qu’il préside en chemise brune.
Papen entame alors des pourparlers avec les nazis pour la formation d’un éventuel gouvernement mais recule devant leurs exigences. Pendant ce temps, sous l’influence des SA, l’anarchie s’installe dans le pays et pousse de plus en plus les acteurs économiques, les classes moyennes, les chômeurs et la jeunesse vers le discours hitlérien, promettant monts et merveilles en termes déjà terrifiants. Papen tient bon, cependant, et obtient du Maréchal une nouvelle dissolution. Les élections du 6 novembre voient les nazis reculer à 33,1% et le parti communiste, avec 16,8%, faire presque jeu égal avec les sociaux démocrates.
C’est alors qu’intervient von Schleicher. Il y avait encore au parti nazi de vieux militants de la première heure, pour qui le mot « socialiste » associé au nom du parti conservait de la signification et qui voyaient d’un mauvais œil l’influence grandissante des banquiers et industriels dans la politique du NSDAP : Gregor Strasser était de ceux-là. Schleicher le contacte avec l’idée de diviser les nazis de l’intérieur et de créer avec l’accord des syndicats chrétiens et socialistes, une sorte de dictature du Socialisme National. Comme on s’en doute, le SPD s’y oppose catégoriquement et Strasser échoue dans sa tentative de coup d’état interne. Schleicher demande alors à son tour à Hindenburg de prononcer une nouvelle dissolution. Furieux d’avoir été dupé, c’est maintenant von Papen qui se rapproche d’Hitler et qui fait savoir à Hindenburg que les nazis se contenteraient d’un petit nombre de ministères tout en laissant la majorité aux conservateurs traditionnels.
Nommé le 3 décembre 1932, Schleicher démissionne le 28 janvier 1933. Le lendemain ; le maréchal appelle Hitler au poste de chancelier et nomme à ses côtés deux ministres nazis seulement : Goering, ministre sans portefeuille et surtout Frick, à l’intérieur. von Papen est vice chancelier. Hindenburg et von Papen pensaient ainsi maintenir les nazis à l’écart des ministères clés : l’économie, la guerre, la justice, entre autre. Avec l’intérieur, ils leur livraient la police !
La police allemande de 1933 n’est pas nazie. Elle est très peu infiltrée, comme le sont très peu les rouages de l’état. Mais elle est disciplinée et respectueuse des ordres du ministère.
Dès le soir de sa nomination, Hitler fait marcher 600.000 SA sur Berlin qui arrivent dans la nuit, au flambeau, sous les fenêtres du Reichstag. La police qui n’en a pas reçu l’ordre – et pour cause – ne disperse pas les manifestants. La « Révolution Nationale » a commencé.
+-+-+-+-+-+-+-+-+
A partir de là, tout va très vite. Les partis « traditionnels » considéraient tous les nazis comme des agitateurs violents mais sans véritable ligne politique. En réalité, le programme de prise du pouvoir total est minutieusement mis au point. On procédera par étapes, par petites touches parfois, avec si nécessaire un plan « B » au cas où les circonstances deviendraient défavorables. Mais en face, il n’y aura rien ou pas grand-chose. Ni à l’intérieur de l’Allemagne, ni en provenance des Démocraties. Si bien qu’en une année, la prise du pouvoir sera totale et irréversible.
L’installation du régime naziLa nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier par la maréchal von Hindenburg est, d’un point de vue constitutionnel, totalement légitime. Le comportement parallèle des milices SA et SS ne l’est absolument pas. C’est cette dualité qui va tromper la grande majorité des Allemands de bonne fois. Le pouvoir nazi des débuts a une apparence légitime à l’assemblée et un comportement terroriste dans la rue. Les premières semaines, voire les premiers mois du régime sont tranquilles. Les « réformes » ont lieu pas à pas, progressivement, si bien que leur aspect « révolutionnaire » n’apparaît pas. Les dirigeants conservateurs qui ont permis l’accession des nazis au pouvoir, les banquiers, les industriels sont plutôt satisfaits : ils ont écrasé l’essentiel du mouvement ouvrier et les affaires marchent. Pour la plupart des 600.000 juifs qui vivent en Allemagne en 1933 aussi, rien de terrible ne se passe immédiatement.
En même temps, dans certains quartiers, dans telle ou telle petite ville, une violence sans contrôle s’abat soudain sur des victimes sans défense. Il y a des morts. Mais « seulement » quelques centaines. Pas des milliers. Des tracasseries et des sévices. Certains déjà abominables. La plupart du temps, l’initiative en revient à des SA – des brutes qui règlent des comptes personnels, le plus souvent de voisinage, en toute impunité. Mais pas de quoi provoquer le sursaut d’indignation nationale qui aurait pu – encore – retourner la situation.
Les nazis ont un tiers des députés. C’est beaucoup, mais c’est insuffisant pour passer en force au Reichstag. Le 27 février, le Reichstag est incendié. Une majorité d’historiens s’accorde aujourd’hui pour reconnaître que le coup était bien monté de toute pièce. Probablement par Goering. Cet événement permet de désigner les communistes comme ennemis du peuple allemand. Dans la foulée, Hitler obtient de Hindenburg la dissolution du Reichstag et la convocation de nouvelles élections. La conjugaison de l’exploitation de l’incendie et la terreur locale exercée par les SA sur les candidats de l’opposition portent les fruits qui en étaient attendus : les nazis obtiennent 43,7% des voix. Leurs alliées du Deutschnational 8%. A eux seuls ils obtiennent cette fois la majorité absolue. En même temps, ce n’est pas un plébiscite. Le peuple allemand, la dernière fois qu’il a pu voter à peu près librement, n’a pas massivement légitimé la dictature. Ses élus le feront à sa place! Si les communistes qui avaient été privés de leur mandat par décret-loi suite à l’incendie du Reichstag sont hors de cause, presque tous les députés du centre acceptent de voter les pleins pouvoirs à Hitler le 23 mars. Seul le SPD votera contre.
Le 13 mars, Joseph Goebbels est nommé « ministre de l’éclairement du peuple (Volksaufklärung – sic !), et de la propagande »
Le 31mars, le pouvoir fédéral des länder est fortement restreint ; le 7 avril, la loi rétablissant le « fonctionnarisme professionnel » réserve les postes de fonctionnaires aux seuls aryens.
Le 14 octobre, Goebbels exige la sortie de l’Allemagne de la SDN (Société des Nations) que le Reichstag approuve le 12 novembre.
Le 30 janvier 1934, les parlements fédéraux des Länder sont définitivement abolis. Le 2 août 1934, le vieux président Hindenburg meurt. Hitler cumule désormais les fonctions de chancelier, de président et de chef des armées. Le 22, tous les fonctionnaires doivent dorénavant prêter serment sur le « chef et le chancelier du Reich » et non plus sur la constitution. Tous les contrepouvoirs ont disparu ; la main mise est totale.