Le sermon de ce soir...
Desserte (1)Pour l’amateur de manœuvres le Graal est la desserte marchandises d’une gare possédant plusieurs embranchements particuliers (EP) sur lesquels il va pouvoir s’épanouir en livrant ses divers wagons. En fait, plutôt que « divers » le terme approprié devrait être « variés » : un wagon tombereau ici, un wagon citerne là et un wagon céréalier plus loin, là-bas, à l’autre bout. Et la fois suivante, histoire de varier les plaisirs, on changera ces destinations de manière aléatoire, avec le céréalier ici, le tombereau là et le citerne… C’était ainsi que je jouais au train quand j’étais jeune, pour éprouver la satisfaction de résoudre un problème particulièrement ardu, ou que je croyais tel, mais surtout un problème plus théorique que réaliste. Comme ceux qui ont été proposés ici ces derniers mois.
De nos jours toutefois, le réalisme étant un mot à la mode à travers tout l’arc-en-ciel des activités de modélisme ferroviaire, le domaine des manœuvres ne doit pas être en reste. Des manœuvres réalistes, donc ! Ce qui signifie tout d’abord des vitesses fort modestes pour nos petites rames lorsqu’elles évoluent à travers la gare. Mais aussi des destinations crédibles pour nos wagons. Il serait d’ailleurs plus logique de prendre le problème à l’envers et de définir au préalable la raison d’être de chaque embranchement particulier et seulement ensuite de déterminer les wagons (ou les types de wagons) appropriés pour chaque embranchement. C’est une première étape et elle n’est pas aussi anodine qu’on pourrait le penser.
Alors, comment choisir les industries ou les commerces qui seront desservis par nos embranchements particuliers ? On n’a que l’embarras du choix, sauf si le réseau représente une gare bien déterminée à une date ou une époque précise. Dans ce cas c’est la réalité du terrain qui dictera aussi bien la nature que l’importance du trafic marchandises. Mais si le réseau est du genre « freelance », comme disent les anglo-saxons, c’est-à-dire qu’il représente une gare ou une ligne imaginaire (qui aurait pu exister par exemple), l’éventail des possibilités s’élargit considérablement. Tout en subissant quelques contraintes en fonction de la région ou du pays représenté. Mais libre à chacun de franchir le mur de ces contraintes… Ainsi, sur mon réseau norvégien, il m’arrive de faire circuler et de livrer des wagons citernes spécialisés dans le transport du vin : ils sont trop mignons ces wagons REE ! Ma justification : c’est un grossiste qui importe ainsi du vin directement de France. Tiré par les cheveux, j’en conviens tout à fait, mais c’est une entorse à la réalité que je suis prêt à assumer pour satisfaire quelques menus plaisirs. Et ce n’est pas la pire sur mon réseau…
A titre d’exemple, voici quelques industries ou commerces qui peuvent justifier un trafic ferroviaire non négligeable. Je reviendrai sans doute plus tard en détail sur certains d’entre eux qui peuvent faire l’objet d’un épisode complet. Alors, dans le plus grand désordre :
# une scierie : reçoit des grumes, expédie des planches, de la sciure (wagons plats, tombereaux,… aujourd’hui même des conteneurs spéciaux pour le transport de la sciure et de déchets de bois).
# un ferrailleur : reçoit ou expédie de la ferraille, essentiellement en wagons tombereau. J’en ai un sur mon réseau, comme le montre la photo suivante (le décor reste à faire, le bâtiment qu’on aperçoit derrière les tombereaux doit disparaître, etc.)
# une minoterie : reçoit des céréales (de quoi mettre à profit tous vos céréaliers Makette et REE) expédie de la farine (alimentaire ou animale). Là j’ai de la chance parce que les céréaliers à essieux galbés de la SNCF, tels que ceux produits par Makette, ont effectivement roulé de nombreuses années en Norvège : 22 avaient été loués à la SNCF et les NSB en ont finalement acheté 16.
# granulats : sable, gravier, cailloux… On en trouve partout, reçu ou expédié par wagons tombereaux. Ce peut être une carrière, un peu à l’écart de la ville et de la gare, ce peut aussi être un centre de tri et de distribution près d’une grande ville comme sur la photo suivante, prise au-dessus d’Annecy. Certes cet embranchement ferroviaire n’est aujourd’hui plus desservi, mais il l’a été et les voies sont encore là…
# dépôt d’hydrocarbures : transit de produits pétroliers, wagons citernes pour l’essentiel. Pour ceux qui ont la place on peut même aller jusqu’à la raffinerie. Une variante, pour les postmodernes, serait une unité de production d’éthanol, très la mode en ce moment.
# abattoirs : arrivée de bétail, petit ou grand, en wagons couverts, éventuellement adaptés (Roco en avait produit de jolis dans le temps). Expédition de viande en wagons frigorifiques (pas seulement isothermes !)
# embouteillage : sodas, eaux minérales… Wagons couverts et plats bâchés (Rils). L’usine d’embouteillage des eaux d’Evian est desservie par un important embranchement (plus de 25 km de voies m’a-t-on assuré) à Publier, près de Thonon-les-Bains, et elle expédie plusieurs trains complets par jour… Ce n’est plus vraiment de la petite desserte locale et sympa comme on l’entend ici mais il existe des embranchements plus modestes.
# usine de papier : arrivages de bois ou de sciure en wagons tombereaux ainsi que produits chimiques en wagons citernes (évitez le chlore si vous êtes écolo). Expéditions de papier en wagons couverts (aujourd’hui essentiellement des Hbbis à parois coulissantes), parfois par trains entiers. Le seul ennui, c’est que les installations sont souvent importantes et à moins d’y consacrer tout votre réseau…
# négociant en vin : expédie ou reçoit (selon la région) du vin en wagons citernes (ceux de REE mentionnés plus haut font très bien l’affaire). Dans le même ordre d’idée une petite brasserie pourrait générer un trafic régulier de bière transportée en wagons couverts (il n’en manque pas, en particulier si vous affectionnez les bières allemandes). Dans ce cas pensez aussi, côté arrivées, aux bouteilles ou canettes vides, aux fûts vides en retour, aux matériaux d’emballage,…
A cette liste non exhaustive on peut ajouter des industries plus inhabituelles, voire carrément originales ou farfelues. En voici une petite sélection.
# fabrique de cloches : les installations sont étonnamment modestes, même pour un grand fabricant de renommée mondiale tel que les cloches Paccard, près d’Annecy. Et le trafic (arrivée de matériaux, départ de cloches et carillons) est très limité. D’autant plus que les plus grosses cloches, les plus spectaculaires, ne peuvent être acheminées que par convoi routier exceptionnel. Mais cela ne m’a pas empêché de placer une telle petite usine sur mon réseau : Påkar Bells (vue ici peu après sa construction).
# mine de delirium : ceux qui visitent régulièrement les expositions de modélisme ferroviaire ne peuvent pas avoir raté ce réseau à l’humour très mince… (Dans le genre on peut aussi imaginer des mines de chocolat ou de camembert).
# centre de distribution Ikea : mais si, ça existe, alors pourquoi pas ? Surtout des wagons couverts pour protéger les précieux meubles.
# fabrique de raquettes à neige : certes, il n’en existe qu’une seule en France (tout près du siège social de REE d’ailleurs), et c’est même le n° 1 mondial dans ce domaine. Mais elle n’est pas reliée au réseau ferré, hélas. Cependant rien n’empêche de rêver et de tordre un peu le cou à la réalité pour la plier à nos envies.
# distillerie de liqueurs : à Voiron (Isère) la Distillerie de la Grande Chartreuse a longtemps eu un embranchement particulier d’où étaient expédiés deux ou trois wagons couverts par semaine. Si, plutôt que le Dauphiné, vos préférences vont à l’Ecosse, une distillerie de whisky « pure malt » est un incontournable. Beaucoup d’entre elles disposaient d’un embranchement particulier autrefois, presque plus de nos jours, hélas.
# fabriques de brouettes, de parapluies, de peignes, de cure-dents,… Ad lib. La seule limite est votre imagination. Et rien n’empêche d’ajouter une histoire complète pour justifier la présence de cette usine ou de ce commerce tout près de votre gare.
Tout ceci n’est qu’un échantillon. Il ne m’est pas possible de citer ici toutes les possibilités Les exemples donnés ci-dessus vont du gros embranchement particulier d’où partent plusieurs trains complets par jour (Evian près de Thonon-les-Bains) à celui qui n’expédie que quelques wagons par semaine (Chartreuse à Voiron). J’aurais pu citer le trafic des mines de charbon, de minerais divers (fer, bauxite, etc.), de sel, de potasse, de kaolin… Les trains complets feront l’objet d’un épisode séparé car il y a beaucoup à dire à leur sujet. Il y a toutefois un trafic qui n’a pas été évoqué : celui du wagon isolé occasionnel. Pour la petite firme qui ne reçoit ou n’expédie qu’un wagon tous les six mois par exemple. Si cela a aujourd’hui entièrement disparu, il n’y a pas si longtemps c’était un trafic non négligeable. De tels clients occasionnels n’ont évidemment pas d’embranchement particulier. C’est à leur intention qu’ont été créés les débords.
Il s’agit d’une (parfois deux) voie de garage avec quai de (dé)chargement haut et souvent un hangar ou halle à marchandises. Cette voie était placée en bordure de ce que l’on avait coutume d’appeler la « cour marchandises » où de nombreux clients du rail venaient charger ou décharger leurs marchandises aussi diverses qu’inattendues. Je me rappelle avoir souvent vu en gare de Nissan Lez Ensérune, dans les années 60, une entreprise de Béziers venir une ou deux fois par semaine décharger un plein wagon de bouteilles de butane. Et une fois par trimestre environ, l’entreprise où travaillait alors mon père chargeait un wagon de jus de fruits à destination de Sète et de l’Afrique du Nord. Quand cela se produisait pendant les vacances j’allais même donner un coup de main au chargement.
Quel que soit le nombre et l’importance des embranchements particuliers rattachés à votre gare, n’oubliez surtout pas la voie de débords ! (que les américains appellent « team track »). Avec ou sans halle à marchandises elle vous permettra de justifier l’utilisation de l’un ou l’autre wagon un peu spécial qui vous plaît tant mais qui n’aurait autrement pas sa place sur votre réseau (du moins dans le cadre de manœuvres locales). Sur mon réseau norvégien j’en ai une, pourvue d’une halle à marchandises bien française (type Ouest je crois) mais qui, étant en bois, ne jure tout de même pas trop dans le paysage local. Avec un peu de maquillage (quand j’aurai le temps) elle devrait être encore plus acceptable.
Avoir une gare pourvue de plusieurs embranchements particuliers grâce auxquels on va pouvoir faire tout plein de manœuvres, c’est bien. Leur donner une raison et une destination spécifique justifiant le trafic et le type de wagons qu’on va pouvoir placer sur chacun d’eux, c’est encore mieux. Et surtout plus réaliste.
Pour conclure je vous propose un exemple concret et complet, celui de la gare de Lomfjell sur mon réseau (déjà présenté il y a bien longtemps sur le fil « Le réseau NRB »).
La signification des couleurs dépasse le cadre de cet article, nous y reviendrons une autre fois. Les différentes voies (en dehors des voies de passage 1 et 2) ont les attributions suivantes :
21 + 23 : embranchement particulier Armataffet (produits agricoles, aliments pour animaux, céréales, etc.) Reçoit à l’occasion des machines agricoles sur wagons plats ; wagons céréaliers, couverts, citernes (engrais). C’est le plus gros client du rail en gare de Lomfjell.
22 : Ferrici AS, petit ferrailleur. Reçoit des wagons tombereaux et les réexpédie chargés de ferraille.
24 : Påkar Bells, fabrique de cloches. Reçoit du sable, des lingots métalliques ; expédie des carillons en wagons couverts. Trafic globalement assez modeste.
25 : voie de débords. Reçoit toutes sortes de wagons, ceux qui peuvent difficilement être casés ailleurs. Depuis le début de l’année j’ai même ajouté une desserte de détail, c’est-à-dire un wagon couvert chargé de petits colis (l’ancêtre du Sernam). Détail qui a son importance : ce wagon doit toujours être positionné à l’abri de la halle à marchandises pour ne pas abîmer les paquets dans le climat arctique de mon réseau… Si on n’y prend pas garde cela peut compliquer les manœuvres ! Mais après tout c’est bien là le but du jeu, et une contrainte supplémentaire parfaitement justifiée ne fait que le pimenter un peu.
bw