Bonjour,
FRET SNCF avait lancé un appel d’offres pour la fourniture de locomotives Diesel de grande puissance, au moins égale à celle des CC 72000, voire un peu plus. AD-tranz, Alstom, Siemens et Vossloh avaient répondu. Seuls les deux premiers avaient retenu notre attention, proposant chacun une CC à transmission diesel-électrique. Quant à Vossloh, se reposant surtout ce qu’ils avaient en catalogue, proposait grosso modo deux machines de moyenne puissance pour le prix d’une grosse. AD-tranz proposait une locomotive étroitement dérivée de leur "Blue Tiger", légèrement francisée, avec un moteur Diesel GE, alors qu’Alstom avait étudié une locomotive de la gamme Prima avec GM comme motoriste. J’avoue ne plus trop me souvenir des autres offres, mais celle d’Alstom résultait d’une véritable étude adaptée au cahier des charges de Fret (contrairement aux autres qui proposaient ce qu’il y avait déjà dans leurs catalogues). De plus, comme pour les BB 27000, cette machine disposait d’éléments de sécurité passive, contrairement à ses concurrentes.
Chaque constructeur était venu en réunion au 15 rue Traversière pour défendre son projet. J’avoue que les représentants de GM nous avaient un peu "bluffés" avec leurs moteurs évolutifs à la demande. De plus, à cette époque, Alstom livrait pas mal de CC Prima à l’export, gage de savoir-faire quant aux caisses, bogies et chaine de traction. Pendant ce temps, les BB 27000 commençaient à être livrées, leur confort vibratoire étant en deçà des valeurs fixées au cdcf, la liaison caisse-bogie en étant la principale responsable. Alors, j’avais été invité à faire un parcours Belfort-Vesoul à bord d’une Prima pour l’Iran lors d’une marche de réception. Nous avons roulé à 140 km/h, V max autorisée. J’avais été enthousiasmé par le confort en cabine de cette locomotive (pas ou peu de vibrations) et une ambiance acoustique remarquable pour une machine Diesel. Finalement, ce fut presque une contre-démonstration pour le constructeur ; à la descente à Vesoul, le Chef de projet de cette CC m’a demandé : "alors qu’en pensez-vous" ? "Hé bien, si les BB 27000 avaient cette qualité de confort, il y a bien longtemps que notre différent à ce sujet serait réglé" ; lui répondis-je.
Une CC Iran avec 12 pièces au crochet pour sa marche de réception au départ de Belfort. La machine n’est pas encore immatriculée et la livrée extérieure n’est pas tout-à-fait terminée. Avant de prendre place à bord, j’avais eu le temps d’examiner « techniquement » la machine : vraiment, une belle réalisation ! J’avais demandé au Chef de projet : puisqu’il y a un moteur GM, pourquoi les iraniens n’ont-ils pas commandé directement aux US ? Vous n’y pensez pas : acheter une locomotive au grand Satan !!! Une fois la voie ouverte, la machine s’est élancée avec sa rame de charge : de quoi renvoyer nos CC 72000 à l’âge de pierre….
Finalement, il n’y aura pas de suite donnée à cet appel d’offres. Fret a-t-il été, dans son subconscient, sensible à l’offre de Vossloh : locomotives de moyenne puissance ? Toujours est-il que nous avons eu à rédiger un nouveau cahier des charges pour une locomotive de puissance moyenne, de l’ordre de 2000 kW. Bien évidemment, pour la rédaction de notre deuxième cdcf, nous avons bénéficié du retour d’expérience de celui de la BB 27000. Nous avions eu trois réponses que nous avons étudiées avec grand intérêt. La première était une BB diesel-électrique Alstom dérivée de la 27000 et motorisée avec un Caterpillar, la seconde était une diesel-électrique Rh 2016 de Siemens motorisée avec un MTU et la troisième était une diesel-hydraulique G 2000 de Vossloh motorisée avec un Caterpillar.
Bien que Fret SNCF semblât satisfait des G 1206 Vossloh de location, l’offre de la G 2000 n’avait pas soulevé d’enthousiasme débordant auprès des notateurs de la Direction du Matériel. Peut-être la transmission hydraulique ou autre chose ? En tout cas, coté caisse, je ne lui ai pas attribué une bien bonne note à cause de son architecture (pas de couloir reliant les deux cabines) et de l’absence de sécurité passive, deux points importants ne répondant pas aux requis du cdcf.
Par contre, les locomotives proposées par Alstom et Siemens avaient retenu toute notre attention. Nous avions organisé plusieurs RTS avec les deux constructeurs pour que chacun d’eux nous fournisse des éclaircissements sur divers points de leur offre, avec le PV de réunion consignant les engagements correspondants.
Le chef de projet, son adjointe et tous les responsables de lots avaient été invités à Graz par Siemens pour une prise de contact avec une Rh 2016 : voyage en ligne sur une marche d’essai suivi par une visite du site de production des locomotives Hercules (Rh 2016) et Taurus (ES 64). Sans entrer dans les détails, la loco Siemens s’était ramassée une meilleure note globale que celle d’Alstom.
Graz : la 2016-023 présentée à la Direction du Matériel SNCF.
La 2016-023 sur le train d’essai au départ de Graz en direction de Vienne. La charge remorquée (wagons plus les deux locomotives électriques) est de l’ordre de 900 tonnes. La 2016-023 a assuré la traction du convoi dans le difficile profil dans la région de Semmering. A la descente vers Vienne, c’est la Taurus 1116-021 qui a retenu le train au freinage rhéostatique.
Ceci n’est qu’un commentaire personnel : que ce soient les BR 185 ou Rh 2016, pour moi ce ne sont que des héritières de l’esthétique des BB 26000 avec leur pan coupé ceinturant les faces avant et le battant de pavillon (certes la BB 26000 est plus anguleuse, ou du moins les raccordements entre plans sont plus vifs). Quant à la Taurus, ce n’est qu’une héritière de la BB 36000, en moins joli.
Au-delà cette considération, les deux locomotives ne sont pas en UM, mais simplement reliées par l’interphonie.
Il est clair qu’Alstom avait reçu une douche froide et, à mon avis, l’avait fait savoir ! Du coup, le Directeur du Matériel a réuni tous ses proches collaborateurs et leurs experts, en présence d’un juriste maison, afin que chacun de nous justifie les notes qu’il avait attribuées à la BB Alstom en regard de chaque item du cdcf et de la réponse correspondante de l’offre. Plus tard, nous apprenions que la BB 75000 serait une locomotive Alstom-Siemens… Quand j’ai connu la clé de répartition de chacun des deux constructeurs, je me suis dit : "c’est le mariage de la carpe et du lapin".
La cérémonie qui scelle « l’alliance » au dépôt de Villeneuve-St-Georges. Quand la bâche a été retirée, les invités ont découvert la BB 75001 sous les applaudissements, qui en fait n’est qu’une BB 37000 déguisée par les Ateliers Alain Pras. Sur la droite, ceinturés de jaune fluo, il y a le président d’Alstom, le président de la SNCF (Louis Gallois) le président de Siemens et Ph. Mirville de la Dir. Co.
Pendant ce temps-là, la mutation de la Direction du Matériel était en marche et la création du CIM au Mans était confirmée. D’ailleurs, les agents de la première vague de mutations étaient sur le point du départ. Chacun de nous avait été questionné sur ses intentions au sujet du CIM, la mutation reposant sur le principe du volontariat : comme je ne faisais rien comme tout le monde, j’avais suggéré que l’on me mute au Mans, avec un détachement permanent à Paris pour raison professionnelle (être au plus près du chef de projet, par exemple :+)). Je proposais en contrepartie de ne pas bénéficier de l’accord cadre d’accompagnement de la mesure et je m’engageais à me rendre au Mans au moins une fois par semaine, voire plus si le service le commandait, et cela avec les frais de déplacements à ma charge. À ma grande surprise, lors d’un entretien individuel, mon chef de Département, pourtant réputé procédurier et peu flexible, m’avait dit : "pourquoi pas ! je n’y suis pas opposé à priori, on part sur ce principe, on verra au fil du temps et si l’un de nous deux a du nouveau, il en informe l’autre" ! Et puis, vint le jour où il m’a convoqué : "les représentants syndicaux s’opposent à cette mesure particulière vous concernant".
Moins d’une semaine plus tard, j’avais un poste au pôle communication de la Dir. du Matériel, celui (enfin presque) que j’avais tenu pendant une bonne quinzaine d’années. Ce qui fait que mon aventure avec les BB 75000 s’en est allée…Toutefois, il me faudra attendre la période estivale et les trois premières semaines de septembre durant lesquelles j’ai effectué la navette domicile-Le Mans pour le transmis des dossiers à mon successeur : faut toujours que les choses soient proprement faites.
Vues extérieures de la BB 75000. À la demande de la commission relevage, j’avais demandé dans le cdcf que l’on prévoie des fourreaux pour les broches de relevage (trous ménagés dans le châssis proches des axes des bogies). Ces broches sont également pratiques pour le levage : c’est mon seul héritage sur ces machines.
Coupes de la BB 75000. Au début du dépouillement des offres, Alstom était catégorique : c’est « une 27000 diéselisée », on ne change rien ! Quand on voit tout ce qui a changé en cours d’étude ! Si cela avait été dit plus tôt, qui sait si elle n’aurait pas obtenu la meilleure note et que la machine eût été franco-française…
2B.